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Death Stranding - La mort lui va si bien

Des pavés dans la mer

1 novembre 2019

Qu'il est loin, l'E3 2016. À cette époque, quasiment au milieu d'une génération de machines qui approche désormais de son crépuscule, Sony livrait une conférence PlayStation de haute volée – qui m'avait par ailleurs particulièrement marqué puisque j'en avais rédigé le résumé complet pour jeuxvideo.com – et on ignorait encore à l'époque que ce serait sa dernière d'une telle qualité avant longtemps. Il faut dire qu'en enchaînant les annonces de triples A sur le long terme, l'éditeur s'assurait un line-up conséquent pour le futur, en annonçant respectivement le renouveau God of War (pour la claque que l'on sait), un Spider-Man flambant neuf signé par Insomniac Games, ainsi que Days Gone, à savoir trois exclusivités parues en l'espace d'un an… bien longtemps après ladite conférence. Mais surtout, une quatrième grosse exclusivité (*) sortie de nulle part était dévoilée en grandes pompes, avec son créateur en guise de guest star parfaitement inattendue : Death Stranding, le premier projet de Kojima Productions en totale indépendance de Konami, présenté par son concepteur légendaire, Hideo Kojima. Près de trois ans et demi après son reveal, le triple A le plus énigmatique de sa génération débarque enfin sur PlayStation 4, et tous les fans du célèbre game designer prient pour ne pas le voir échouer. Il faut dire qu'en le privant de toute session jouable jusqu'à ce qu'il passe "gold" et ce même à moins de deux mois de sa sortie, au Tokyo Game Show où il fut présenté pendant près d'une heure par Kojima himself, les risques étaient particulièrement énormes…

 

(*) À l'heure où cette introduction fut rédigée (dans les jours ayant suivi la mise à disposition de ma version, soit mi-octobre), la version PC de Death Stranding n'était toujours pas officiellement confirmée et/ou datée, ce qui est désormais le cas depuis le 28 octobre. La critique, écrite après cette annonce (entre le 29 octobre et le 1er novembre), tiendra de fait compte de ce statut d'exclusivité temporaire.



Note sur les conditions de jeu :

 

Cet article se base sur une expérience de Death Stranding complétée jusqu'à son terme, grâce à un code fourni par Sony, sur environ 105 heures de jeu afin d'en explorer un maximum de composantes en vue d'une soluce complète (et donc, autant en profiter pour en faire un test, non ?). Le jeu a été joué principalement sur PlayStation 4 Pro et sur l'écran 4K HDR qui va bien (et qui ressemble à s'y méprendre à celui que Hideo Kojima semblait utiliser sur pas mal de photos prises en cours de développement), mais également sur un modèle de base pour tester comment le hardware original s'en sort face à cette production terriblement ambitieuse de fin de génération. Enfin, comme toujours, toutes les captures d'écran illustrant cet article ont été effectuées par mes soins, et témoignent de sa qualité visuelle in-game faute de mode photo intégré dans la version mise à disposition de la presse et des autres heureux élus ayant pu y jouer en avance. Afin de respecter au mieux les conditions de l'embargo fixé par Sony mais aussi votre expérience potentielle du titre, je tenterai de vous préserver au mieux de toute forme de spoil et n'inclurai pas de capture d'écran au-delà d'un certain stade de l'histoire, conformément à mes engagements auprès de l'éditeur.

 

 

 

 

Jeux idéaux

 

 

Je ne vais pas y aller par quatre chemins : il fallait avoir le cœur bien accroché pour se lancer en toute autarcie dans la rédaction d'une soluce d'un jeu comme la dernière création d'Hideo Kojima. Persuadé qu'en disposant de trois semaines et demie complètes pour mener à bien ce projet, je parviendrais à m'adapter rapidement au mystère absolu se dissimulant derrière le nom de Death Stranding – dont, concrètement, rien n'avait jamais fuité concernant le cœur de gameplay – et n'aurais aucune difficulté à vous en livrer une critique en parallèle. Pour tout vous dire, à l'heure où j'écris ce premier paragraphe, nous sommes le 29 octobre 2019, à trois jours de la fin de l'embargo fixé par Sony, le lendemain de l'annonce de son portage PC, en suis à 85 heures de jeu et ne semble pas si proche du terme, ce que la liste des trophées (bien que cachés pour ce qui est de ceux supposément liés aux synopsis) laisse deviner. Si je me suis laissé déborder par les ambitions du premier titre intégralement développé par Kojima Productions, c'est qu'il y a une bonne raison : on n'est pas face à un titre comme les autres, et son créateur un peu mégalo avait bien raison de nous prévenir quant à son statut de game changer. Si l'œuvre peut effectivement être complétée en ligne droite en une quarantaine d'heures (moyenne constatée auprès des confrères avec qui j'ai pu échanger durant la période dite de "NDA"), on part sur des bases beaucoup plus élevées dès que l'on cherche à creuser dans ses moindres recoins, et en saisir toute la profondeur. Ouais, ça faisait longtemps que je n'avais pas entamé une de mes reviews en dégageant d'emblée une de ses idées essentielles, mais face à une création aussi unique, il valait mieux prévenir d'emblée : Death Stranding m'a occupé longtemps, très longtemps, aussi bien en tant que rédacteur de guide complet pour le compte de jeuxvideo.com, mais aussi en tant que joueur et fan de jeux vidéo de moins en moins enclin à passer plus d'une cinquantaine d'heures sur le même titre.

 

 

Pardonnez-moi du coup le ton de cette première partie un peu personnelle et introspective, mais il fallait bien l'annoncer : vous l'aurez constaté, depuis plusieurs mois, l'activité de ce site est bien plus faible que durant l'essentiel de ses trois premières années d'existence. Si cela est partiellement dû à un exercice 2019 que je trouve pour ma part relativement moyen et peu passionnant – je n'en retiens début novembre que cinq ou six titres seulement – j'ai commencé à vraiment ressentir un besoin de n'écrire que sur un titre me donnant vraiment envie d'en parler et de m'attarder dessus, plutôt que de proposer un test de (presque) chaque titre auquel je jouais. Sans aller jusqu'à parler de "blues du gamer" (faut pas pousser !), je vous avouerai que j'ai passé les six derniers mois à avoir davantage envie de jouer et rien d'autre, et ce même lorsque je couvrais parfois un titre dans le cadre de mon activité professionnelle. Cependant, il est des défis passionnants qu'on ne peut refuser, et mieux, qu'on a envie de se fixer : Death Stranding était de ceux-là, tant il était stimulant par avance de bénéficier du privilège de jouer aussi en avance à un jeu vidéo aussi énigmatique, attendu mais également redouté. En disposant de fait de trois semaines pleines pour en écrire une solution complète et tenter de proposer ma critique du jeu en parallèle, j'avais alors l'opportunité de me réconcilier ou presque avec une pratique du jeu vidéo dont je m'éloignais petit à petit. Pour cela, cependant, il fallait que le nouveau jeu d'Hideo Kojima vaille vraiment le coup… et dieu sait combien se lancer dans un walkthrough détaillé, plutôt que dans une simple critique, permet de vraiment cerner la qualité intrinsèque de la production que l'on va évaluer, en l'examinant dans ses moindres recoins et passant tous les aspects de son gameplay au peigne fin. J'en ressors avec un verdict immédiat, sans appel : Death Stranding est un jeu vidéo qui m'a profondément marqué, fasciné, donné envie de m'y impliquer bien au-delà du simple suivi de sa trame principale, et donc de vous en parler en détails, en essayant bien entendu de vous préserver le plus possible de toute forme de spoil. Ce qui ne sera pas chose aisée, mais de toute façon, rien n'a été facile avec lui. Trève de bavardages, venons-en à ce qui vous intéresse (si vous n'avez pas déjà lâché l'affaire) : que vaut donc la vraie-fausse exclusivité PlayStation 4 de Kojima Productions ?

 

 

 

 

Sony & Share

 

 

"Death Stranding est basé sur le lien." C'est ainsi que son créateur a résumé un jeu présenté et assumé comme novateur, mû par un gameplay considéré comme jamais vu jusqu'ici, une ambition devenue rare à une époque où de moins en moins de studios prennent de risques. Entre reboots et remakes faciles, suites évidentes, ou nouvelles licences clairement réussies mais reprenant des fondamentaux déjà connus (coucou Sekiro !), l'innovation dans le jeu vidéo passe de plus en plus rarement par les triples A. De ce fait, l'arrivée d'un titre comme la nouvelle création d'Hideo Kojima avait tout pour être accueillie avec beaucoup d'enthousiasme, mais plus le temps passait, plus la réserve s'imposait, notamment face à la durée interminable séparant son annonce officielle (en juin 2016, donc) de celle de sa date de sortie, et surtout l'absence de toute information sur sa jouabilité. Pire encore, jusqu'au bout, les joueurs du monde entier, mais également les journalistes et autres influenceurs de tout poil, espéreront vainement poser leurs mains sur un titre dont personne ne verra rien d'autre que des trailers parfaitement fascinants d'un point de vue purement cinématique, et très tardivement, un peu de gameplay quand même… mais même pas en "hands-off". Il aura fallu patienter jusqu'à un peu moins de deux mois avant la date de sortie prévue, à savoir au Tokyo Game Show mi-septembre, pour avoir l'opportunité de voir Kojima jouer à son jeu et le commenter, dans la seule langue qu'il maîtrise réellement – son anglais étant certes au-dessus de la moyenne de ses compatriotes, mais encore insuffisant pour tout expliquer de lui-même à une assemblée composée d'un sacré paquet d'Occidentaux professionnels du métier. À une cinquantaine de jours de l'arrivée de Death Stranding dans les rayons PlayStation 4 de tous les magasins de la planète, nous avions au moins l'avantage d'être à peu près tou(te)s sur un pied d'égalité concernant nos expériences du jeu, à savoir totalement nulles. Il fallait juste attendre un mois de plus pour que Sony donne l'occasion à une poignée de privilégié(e)s d'enfin jouer au premier jeu du légendaire créateur hors du giron de Konami, avec cette surprenante possibilité offerte d'y jouer librement pendant environ trois semaines pour proposer une critique basée sur une expérience pour le coup parfaitement complète, et surtout, en jouant plus ou moins ensemble.

 

 

 

 

En prenant le parti de ne rien divulguer de ce qu'il définit comme une expérience de jeu résolument novatrice, Hideo Kojima a pour autant intérêt à ne pas se planter. Après les déboires que l'on sait concernant la fin de sa collaboration de près de trente ans chez Konami – annulation de Silent Hills et fin de développement très compliquée de Metal Gear Solid V: The Phantom Pain – il trouvait quand même refuge auprès de Sony le temps d'un partenariat finançant grandement son nouveau projet, mettant même à sa disposition le moteur Decima de Guerrilla Games (Killzone: Shadow Fall, Horizon Zero Dawn), studio PlayStation sous contrat exclusif. La confiance était donc de mise du côté de Sony Interactive Entertainment et notamment de son président Shuhei Yoshida, convaincu du talent intact de ce concepteur mythique et de l'équipe portant son nom, le directeur artistique et éternel "bras droit" Yoji Shinkawa en tête. Pourtant, tout au long de son développement et de sa campagne marketing, aussi mystérieux qu'interminables l'un que l'autre, pas grand-chose ne permettait de savoir à quoi rimait exactement Death Stranding. Renouveler le concept de monde ouvert est une promesse risquée, surtout après la révolution incroyable opérée par The Legend of Zelda: Breath of the Wild (officialisé lors du même E3 !), et encore plus lorsque le designer évoquait une notion de lien entre joueurs, donc en ligne, de toute évidence facultative mais vivement recommandée pour en saisir toute la quintessence et apprécier les ambitions visiblement sans limites du projet à leur juste valeur. On n'oubliait également pas que le triste épisode "P.T." avait vu les espoirs de Kojima, convaincu que les joueurs mettraient des semaines à terminer cette démo effrayante, totalement douchés en à peine 24 heures par la puissance d'internet et de ses différents réseaux.

 

 

Partant de ce principe et de ces expériences pour le moins peu engageantes, il était de fait délicat de ne pas faire preuve de scepticisme quant à un nouveau jeu donnant en outre l'impression de miser énormément sur son aspect cinématographique, aux cutscenes extrêmement soignées mettant en scène un casting cinq étoiles absolument jamais vu dans un jeu vidéo – outre Norman Reedus et Guillermo del Toro, rescapés du projet Silent Hills les différentes bandes-annonces avaient révélé successivement Mads Mikkelsen, Léa Seydoux, Nicolas Winding Refn (réalisateur, entre autres, de Drive), Lindsay Wagner, Margaret Qualley… ou encore Troy Baker, doubleur ô combien réputé dans l'univers du jeu vidéo sur cette génération (BioShock Infinite, The Last of Us, Batman Arkham Origins, Uncharted 4: A Thief's End ou même "MGSV"). Et ce sans parler de "guests" surprenants tels Geoff Keighley ou Connor O'Brien, davantage présents sous forme d'influenceurs que véritables acteurs. Pourtant, là où on attendait avec beaucoup de réserve et de prévisibilité un véritable film interactif se contentant juste de donner une leçon de cinéma virtuel à David Cage, Death Stranding va beaucoup, beaucoup plus loin, et mieux que cela : il tient ses étonnantes promesses, et justifie la confiance exceptionnelle de Sony, jusqu'au point de dater la fin de l'embargo une semaine avant la mise à disposition en rayons de celui qui était quasiment le jeu le plus attendu de l'année, une fois sa fenêtre de sortie confirmée… car oui, le dernier-né d'Hideo Kojima de sa bande n'est pas qu'un enchaînement d'easter eggs forcés, de séquences un peu pipi-caca dispensables (même s'il s'en permet de belles quand même), ou de cinématiques servant une trame mindfuck comme il en a le secret. C'est un véritable jeu vidéo, complet et passionnant, et surtout, dirigé par des idées de gameplay résolument originales et nouvelles.

 

 

 

 

The World on Time

 

 

Les cinq à dix premières heures de gameplay du véritable "premier jeu" de Kojima Productions sont particulièrement déroutantes, et j'en conviendrai : le risque qu'elles fassent fuir un paquet de joueurs peu patients est tristement bien réel. La comparaison avec Breath of the Wild reviendra régulièrement dans cette critique pour plusieurs bonnes raisons, mais si l'entame a vaguement quelque chose du dernier Zelda universellement acclamé, ce n'est pas spécialement dans le bon sens. Blindé de tutoriels aussi indispensables que parfois pénibles, Death Stranding accompagne un joueur pas suffisamment livré à lui-même dans un environnement qui ne justifierait pourtant que cela. Les features à découvrir sont nombreuses mais un peu trop détaillées dans leur explication, ce qui rend l'ensemble relativement indigeste ; fort heureusement, on est porté(e) par l'envie de comprendre quel est le passif de Sam Porter Bridges, notre "porteur" incarné par Norman Reedus, et quels sont les liens qui l'unissent à tous ces PNJ majeurs aussi célèbres que mystérieux. Découpé en chapitres ici baptisés "épisodes", le titre d'Hideo Kojima prendra pas mal de temps à se mettre en place, le temps, essentiellement, d'un second épisode dont chaque mission – appelées ici "commandes" – a pour but de vous enseigner pratiquement tous les rouages nécessaires à la bonne compréhension d'un monde ouvert parfaitement ahurissant qui se laisse désirer, et viendra frapper le joueur intrigué et impatient de plein fouet lorsqu'il ne l'attendra presque plus. Face à un titre plus conventionnel que Death Stranding, je vous aurais presque recommandé de ne pas vous laisser avoir par un démarrage aussi poussif, relevant clairement de la simulation de randonnée (et de livraison) au rythme effroyablement lent, juste mû par une direction artistique d'un réalisme de toute beauté, et des accompagnements musicaux surprenants et bien sentis. Fort heureusement, les pièces du puzzle se mettent ensuite en place, et c'est presque comme un deuxième jeu qui démarre, justifiant non seulement l'attente mais aussi le statut assez improbable de ce que je n'ai pas peur d'appeler "un jeu de quêtes FedEx".

 

 

Attendez, suis-je vraiment en train de résumer un des jeux les plus attendus de sa génération à un gameplay basé sur une des composantes les plus clichés et ennuyeuses des créations en monde ouvert modernes ? Eh bien oui. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le scénario principal de Death Stranding, étalé sur plusieurs dizaines de "commandes" dites principales, fonctionne sur la base de quêtes de livraison où Sam doit se rendre d'un point A à un point B en transportant une cargaison, et quasiment aucune ne fait exception à la règle – d'où le terme de commandes, soit dit en passant. Les commandes dites "standard", qui font donc office de missions annexes, et au nombre de plusieurs centaines à vue de nez (!) se basent peu ou prou sur la même idée : notre Norman Reedus virtuel est un livreur, capable de transporter sur son étrange combinaison (aux capacités évolutives) plusieurs dizaines de kilos de marchandises, à pied comme au guidon d'une moto à trois roues dont on ne déverrouillera hélas pas l'usage immédiatement (d'où la lenteur du début du titre, qui prend déjà une autre dimension une fois les véhicules débloqués !). Toutefois, comme souvent, ce n'est pas vraiment la destination qui comptera mais le voyage, et à ce niveau, Death Stranding constitue une bien belle ode à la promenade, au point de finir par se complaire dans ces missions de livraison certes convenues de prime abord, mais qui racontent chacune une histoire ou presque. Et pour cause, le joueur va créer sa propre histoire, ou même la cimenter grâce aux efforts et suggestions des autres, ce qui en fait un open world largement plus proche de "BotW" que, au hasard, d'un Red Dead Redemption II dont l'aspect abominablement scripté des itinéraires de mission avait été immensément critiqué, et ce à juste titre.

 

 

 

 

Résumer simplement le système de commandes n'est pas chose aisée, mais concrètement, vous serez amené(e) à évoluer dans un vaste monde ouvert ayant pour but de représenter une grosse partie des États-Unis d'Amérique, ravagés par une apocalypse répondant au nom de "death stranding" (sic). Au fil du scénario, votre objectif sera de relier de l'est vers l'ouest des terminaux, sous forme d'abris technologiquement très avancés, à ce qui est appelé réseau chiral, afin de reconnecter tous ces lieux à une nouvelle entité baptisée UCA (littéralement "United Cities of America", donc les Villes Unies d'Amérique) : une vraie reconquête moderne de l'Ouest américain, en somme ! Là où beaucoup de mondes ouverts optent pour un système de points d'intérêt à atteindre, ou de camps à nettoyer pour déblayer une partie de leur map et de se l'approprier, Death Stranding choisit d'insister sur la notion de lien entre ces différents lieux, qu'il ne faut pas juste atteindre mais également persuader de rejoindre le fameux réseau. En substance, cela se fait en apportant des commandes contenant des provisions, des médicaments, des artefacts requis par le(s) destinataire(s), qui ne seront pas toujours convaincus dès votre premier passage. Leur confiance se mérite mais cela viendra heureusement assez rapidement, voire instantanément pour la plupart ; c'est à partir de là que les commandes standard se débloqueront et vous permettront d'améliorer la qualité de vos liens, matérialisés par un grade de cinq étoiles maximum à atteindre. Mieux vos commandes seront traitées, meilleure votre note sera, et plus le lien social augmentera vite, favorisant les récompenses en tous genres (matériaux pour le craft, éléments de personnalisation, objets défensifs ou offensifs, innombrables documents renseignant sur le lore, etc.). On se retrouve alors clairement dans un concept d'action-RPG en monde ouvert comme cette génération en a usé et abusé, mais avec ses spécificités qui le rendent un peu plus unique. Par exemple, vous contenter simplement de réussir votre livraison ne suffit pas : sa durée et l'état des marchandises à l'arrivée seront prises en compte dans l'évaluation, avec un petit extra pour les quantités bonus apportées en plus de ce qui était initialement demandé, ou surtout, la distance parcourue. Ce dernier point rejoint la proximité évoquée avec Breath of the Wild précédemment : les seules limites posées par le titre de Kojima Productions en terme d'itinéraire sont celles des lois physiques qu'il impose, dépassant quand même un petit peu celles de l'être humain que Norman Reedus est censé incarner.

 

 

 

 

Beyond Human

 

 

Les différents trailers l'avaient laissé supposer : Sam Porter Bridges est un peu un surhomme. Capable, dès le début de l'aventure, de soulever pratiquement un quintal de marchandises (certes bien dispatché) sur son dos, notre héros est également capable de courir en dépit du poids à transporter, d'effectuer des sauts en longueur un poil exagérés… mais ne croyez pas pour autant que la masse n'est pas prise en compte. Sur de très nombreux points, le moteur Decima fait merveille et s'avère idéalement adapté au monde ouvert tel que le conçoit Hideo Kojima, notamment dans la gestion du poids de l'équipement, et l'incidence que cela a sur l'équilibre du personnage, également en fonction du relief  (vous allez devoir apprendre à ne pas vous casser la figure, notamment en dévalant des pentes en maintenant les deux gâchettes !). Grossièrement, si Death Stranding adopte la structure (vue et revue) d'un action/aventure-RPG moderne pour ce qui est de ses bases, il se montre terriblement intelligent dans la façon de gérer la physique du personnage et son optimisation du loot en fonction du poids. Vous vous souvenez de vos bonnes vieilles habitudes de gestion de limites du poids dans (au hasard) The Elder Scrolls V: Skyrim ? Le titre de Kojima Productions vous rappellera ces bons vieux fondamentaux et vous poussera à opter pour l'équipement le plus adapté à toutes les situations, et à répartir habilement le poids de votre équipement (cargaisons à livrer, armement, trouvailles en tous genres…) de façon à ce que Sam puisse se déplacer sans trop pencher d'un côté, ou se montrer trop ralenti par un surplus quasi ingérable. Il en ira de même lorsque vous utiliserez un véhicule, dont la capacité d'accueil est évidemment limitée. Être un super livreur c'est bien, mais cela a ses limites : vous ne pourrez pas envisager d'activer toutes les commandes proposées à gauche à droite en simultané, d'abord parce que certaines exigeront un délai précis à respecter, mais aussi parce que le poids embarqué trouvera rapidement ses limites. Vous devrez donc apprendre à bien connaître la carte et les moyens de relier les différents points où vous rendre, faire évoluer son réseau routier en recréant tout simplement des portions d'asphalte propices à la conduite de vos véhicules (et totalement sécurisées, j'y reviendrai un peu plus bas), et fabriquer tout un tas d'éléments permettant soit de progresser (comme des ponts ou des tyroliennes), soit d'optimiser vos trajets (boîtes de stockage, abris anti-précipitation, générateurs, etc.). Pour préserver un peu de suspense, je ne m'étendrai pas davantage sur cette fonctionnalité de gameplay, mais sachez néanmoins qu'elle m'a constamment rappelé les pouvoirs dont dispose la tablette de Link dans le dernier Zelda, sous un angle plus moderne, adulte et presque axé simulation. Oui, rien que ça. Et croyez-moi, je ne vous dis pas tout, loin de là, car les mini-éléments de gameplay sont innombrables, s'emboîtent idéalement bien, et il serait presque dommage de trop en laisser sous-entendre.

 

 

Cette dimension créative ne serait cependant pas complètement aboutie si elle ne mettait pas en relief la notion de partage entre joueurs, et donc ce fameux lien si cher à Kojima. En choisissant d'activer la connexion, et donc de jouer "en ligne" à Death Stranding, vous pourrez alors tomber sur des constructions d'autres joueurs, disposées à des endroits stratégiques, qui vous permettront de fait d'évoluer parfois sans avoir à construire quoi que ce soit vous-même ! En résumé, ce n'est pas parce que vous n'avez pas d'échelle ou de corde dans votre inventaire que vous ne pourrez pas gravir une montagne infranchissable à mains nues, car un joueur passé par là auparavant peut très bien en avoir déjà installé une là où il le fallait ! Ce sera alors l'occasion de presser un coup le pavé tactile de la Dual Shock 4 pour lui attribuer un "like" (ou même plusieurs si vous le martelez) afin de lui témoigner de votre gratitude… et inversement. Cette dimension sociale n'est même pas là pour flatter votre ego ou celui des joueurs que vous croiserez : les "likes" augmenteront votre réputation et vos niveaux, à travers une interface de progression qui vous fera évoluer de grade en grade pour devenir le meilleur livreur des "UCA" ! Une composante très sociale donc, mais ayant pour but de véhiculer un message positif, basé sur l'entraide et ce fameux "lien" si cher au créateur de cet univers vaste, et passionnant à parcourir tout seul mais avec cette sensation permanente que quelqu'un est là pour vous aider. À moins, bien sûr, que vous ne décidiez de jouer à Death Stranding sans activer la connexion, auquel cas vous ferez face à son vrai "mode hard" vu que vous devrez absolument tout construire par vous-même et ne vous faire assister d'aucune once d'indication. Finis les panneaux déposés par les joueurs pour vous prévenir d'un territoire dangereux devant vous, les ponts déjà préparés au-dessus de cours d'eau infranchissables à pied, les échelles déjà en place au bon endroit… si le jeu se veut jouable par tou(te)s peu importe votre expérience des titres du genre, il le sera bien davantage en vous connectant à ce monde qui n'attend que vous.

 

 

Eh oui GDC, Julien Chièze est dans Death Stranding, voici la preuve

 

 

Comme tout bon monde ouvert qui se respecte, Death Stranding propose différents types de relief mais aussi des conditions météo évolutives, quoiqu'un peu trop scriptées. La brume et surtout la pluie (voir la neige et le blizzard en haute altitude), régulièrement présentes dans des zones bien précises et totalement absentes d'autres, sont en effet là pour vous prévenir d'un danger imminent, à savoir la présence des Échoués, une forme d'ennemis aux allures d'âmes perdues venant clairement d'un autre monde et à l'existence justifiée de façon particulièrement maline… et évidemment tout à fait effrayants. En plus d'une réalisation particulièrement divine dans ces conditions climatiques, c'est à des situations franchement angoissantes que vous vous trouverez exposé(e), et dont vous ressortirez assez régulièrement avec une cargaison abimée, surtout si vous vous laissez happer par leurs groupes et affrontez une entité géante bien plus dangereuse. Dans les faits, une fois que vous aurez appréhendé le fonctionnement de ce type de rencontre, ainsi et surtout que comment les éviter lorsque cela est possible (en-dehors des routes reconstruites qui en sont automatiquement protégées), le stress laissera davantage place à l'agacement : personne n'aime être ralenti pendant une livraison, et vous finirez par pester contre ces phases un peu comme si vous étiez au volant de votre véhicule en pleine circulation, bloqué(e) par un bouchon vous empêchant d'arriver à votre destination à l'heure prévue. Heureusement, la maîtrise de ces scènes en terme de sensations de jeu est tout à fait appréciable, basée sur des mécaniques de stealth à la hauteur de la réputation d'Hideo Kojima et de Metal Gear Solid, et vous fera apprécier d'en sortir en un seul morceau sans avoir entamé la qualité de votre livraison – bien davantage que les rencontres avec des PNJ ennemis humains plus traditionnels, fort heureusement assez peu présents du fait d'un environnement où l'humanité a été largement dévastée. En cause, des combats assez mous et sans profondeur de gameplay la plupart du temps (sauf du côté de la gestion des munitions basée sur le niveau de sang de Sam, ce qui est assez génial !), ainsi que leur IA grossière et très peu propice à l'inflitration de qualité (à l'inverse des phases vous confrontant aux Échoués).

 

 

Je tiens à insister sur ce point car connaissant donc l'image très positive de Kojima à travers "MGS", on aurait pu clairement espérer quelque chose de mieux… mais d'une manière générale, tout ce qui touchera aux combats au corps-à-corps avec les humains, ou aux phases de shoot, s'avère plutôt brouillon et déçoit quelque peu, comme les combats de "boss" d'une manière générale. Death Stranding a fait le pari de miser surtout sur l'exploration et l'interaction muette entre joueurs ne se croisant qu'à travers leurs constructions et coups de pouce, et cela se fait un peu au détriment de sa partie "action", plutôt pauvre en dépit d'une mise en scène très réussie. Certes, c'est loin d'être à ce niveau que se situe le propos du titre, mais on aurait apprécié un peu plus d'efforts à ce stade, quand même. Cela va par ailleurs de paire avec une interface utilisateur (HUD) un peu trop souvent surchargée, à la taille de caractères ridicule (sur un écran 55" c'est juste ce qu'il faut, mais sur un moniteur ou une TV plus modeste, vous allez clairement en baver), qui participe de façon un poil abusive à un gameplay assumé comme riche et complexe, mais dont on mettra des dizaines d'heures à saisir tous les rouages. Le titre de Kojima Productions se finira de toute façon difficilement en-dessous des 35 à 40 heures en ligne droite, du fait de nombreuses processions interminables et de cinématiques qui rappellent le bon vieux temps (… ou pas) de Metal Gear Solid 4: Guns of the Patriots. Quant à sa durée de vie estimée pour les joueurs "complétistes", dont je fais partie, elle excèdera généralement la centaine d'heures, peu importe le mode de difficulté choisi. On est vraiment sur un monde ouvert très complet, à la répétitivité des missions très relative, tant chacune offrira une expérience différente, et ce probablement à chaque joueur. Reste cependant à donner un contexte et un but à tout cela, ne croyez-vous pas ?

 

 

 

 

A Kojima Productions Game

 

 

Un des éléments sur lesquels Death Stranding était le plus attendu au tournant était bien sûr son écriture. Si Hideo Kojima n'est pas forcément le meilleur réalisateur de jeux vidéo de tous les temps, et n'en a peut-être pas non plus écrit les meilleurs scénarios (bien que les deuxième et troisième épisodes de Metal Gear Solid soient unanimement reconnus comme exceptionnels à ce niveau), sa réputation n'est plus à faire et n'a que partiellement été entachée par son dernier jeu en date, bâclé dans les conditions que l'on sait. En s'entourant d'un casting aussi impressionnant et avec les moyens mis à sa disposition, on se doutait bien que le célèbre game designer aurait pour ambition de proposer un synopsis très solide et d'une certaine profondeur, ce que les bandes-annonces laissaient de toute façon aisément supposer. En vérité, la question qui se pose le plus se situe autour de la cohérence de l'ensemble. En terme de mise en scène, d'effets, d'acting, il n'y a rien à redire : Death Stranding est transcendant et se savoure comme un bon film de science-fiction, aux inspirations diverses, et on n'a pas le souvenir d'avoir vu quoi que ce soit de meilleur à ce niveau sur cette génération. Reste cependant à voir si cette histoire post-apocalyptique (une de plus) tient la route : à ce niveau, c'est à un scénario bien plus poussé que ceux basés sur les invasions de zombies auquel on a affaire, et de très loin. En optant pour une vision bien personnelle et versant dans le bon gros délire métaphysique par moments, Hideo Kojima nous livre un récit axé sur la mort, l'au-delà, la connexion entre vivants et morts, et je ne vous cacherai pas que la coïncidence visant à publier cet article à mi-chemin entre Halloween et Fête des Morts est assez savoureuse. Dans cette étrange aventure où Sam va tenter de reconnecter ce qu'il reste de (sur)vivants en jonglant entre âmes perdues (les fameux Échoués évoqués plus haut), ennemis vivants qui le sont un peu trop, et hologrammes à la situation pas toujours très claire entre les deux mondes, l'histoire de ce qui s'est passé avant le "death stranding" nous sera également contée avec un soin du détail chirurgical, grâce à toutes ces missions a priori anecdotiques mais qui donneront beaucoup trop envie de connaître tous les tenants et aboutissants d'un lore passionnant. En cela, Death Stranding nous conte une des histoires d'humanité dévastées les plus touchantes, complexes et profondes pour peu que l'on s'accroche à sa narration évidemment ultra bavarde. Mais croyez-moi, on a beaucoup trop envie de se délecter de ces échanges interminables avec Deadman, Fragile (*), Die-Hardman, Mama ou encore Heartman, régulièrement saupoudrés d'une surprenante légèreté qui aime parfois à nous rappeler qu'on est dans un jeu, et que nous rejoignons à notre façon l'incroyable panel d'acteurs renommés qui y prend part. Côté bris du quatrième mur, Kojima et son équipe se font par ailleurs régulièrement plaisir, et je ne vous en dirai évidemment pas plus.

 

(*) Pour vous donner une idée de la réussite du casting : Léa Seydoux est vraiment une actrice que je n'aime pas du tout, et pourtant j'ai réussi à apprécier son personnage dans Death Stranding. C'est dire !

 

 

 

 

Dans l'ensemble, une des grandes satisfactions concernant le scénario de Death Stranding réside dans la capacité de l'histoire à apporter une réponse aux questions qui sont posées, et à offrir une conclusion convaincante à tous ces épisodes de durée (très) inégale qui offriront leur moment de gloire à peu près à tous les personnages mis en avant, au traitement de qualité très équivalente. Je ne vous révélerai évidemment rien des nombreuses surprises, moments complètement "WTF" et séquences fortes en émotion que propose le scénario, mais on est servi à ce niveau, de façon quasi constante, même en faisant usage de ressorts parfois connus (sans pour autant être prévisibles). Tout s'imbrique parfaitement bien même si on peut se retrouver un peu largué, on progresse aussi bien dans le but de remplir le travail de larbin-sauveur de l'humatnité de Sam, que de trouver des réponses à des interrogations quasi permanentes. Notez par ailleurs que la narration est souvent absente durant les phases de gameplay, vos déplacements libres et vos commandes s'effectuant dans une solitude quasi constante à l'exception de quelques contacts via vos menottes, aux allures de montre connectée du futur, et surtout du bébé qui vous accompagne – et constitue à lui seul une grosse composante de gameplay à prendre en compte, sans quoi la détection des Échoués en sera largement complexifiée. Cependant, régulièrement, lors de la découverte d'une nouvelle zone (souvent montagneuse), une des chansons de la playlist du jeu, à débloquer au fil de l'aventure, viendra vous accompagner lors de séquences plus tranquilles, avec pour objectif de se montrer apaisante et réconfortante lors de phases explicitement affichées comme sans danger. À sa façon, la bande originale de Death Stranding participera donc à votre aventure, souvent à titre de récompense (puisqu'il s'agit, après tout, d'un élément à débloquer en plus des centaines de documents enrichissant le lore à la fin de chaque commande ou presque). Une bien belle façon de signifier que la majorité des commandes, une fois livrées, vous rétribuera d'un grand sentiment d'accomplissement que l'on pourrait imaginer démesuré pour de simples missions de livraison, mais qui vous envahira très certainement après avoir traversé des territoires hostiles, à la topographie tout sauf simple à maîtriser, et en devant composer avec d'innombrables micro-éléments de gameplay en faisant bien plus que cela. Une bonne vieille "quête FedEx" dans un open world classique prend quelques minutes ? À distance équivalente, la même mission vous prendra ici le double ou le triple, au moins, et sans avoir eu le sentiment de vous être ennuyé(e).

 

 

Puisque j'évoquais la question de la playlist, venons-en à l'évaluation purement artistique du titre de Kojima Productions. En plus de chansons sous licence très majoritairement empruntées à Low Roar (groupe de rock/electro ambiant aux compositions ambiantes aussi glaciales que délicieuses, rappelant pas mal Radiohead), la bande son du jeu la joue aussi envoûtante que mystérieuse la plupart du temps, sachant se montrer en retrait quand il faut, et montant dans l'intensité dramatique lorsque cela s'impose. Ce score très agréable, quoiqu'un peu trop anecdotique par moments, est signé Ludvig Forssell, un nom pas étranger au "kojimaverse" vu qu'il avait œuvré sur Metal Gear Solid V: Ground Zeroes et Phantom Pain, preuve une fois de plus que Hideo Kojima a continué de s'entourer des créateurs majeurs l'ayant accompagné durant sa vaste carrière. Cependant, que serait le papa de Solid Snake sans son éternel directeur artistique à ses côtés ? La composante artistique de Death Stranding est riche, originale et porte la signature d'un homme essentiel dans tous les projets du studio depuis vingt ans : Yoji Shinkawa. Si la réalisation des environnements naturels, de très haute volée et surtout sur PS4 Pro en HDR, doit essentiellement aux équipes ayant travaillé sur la modélisation, tous les concepts artistiques démentiels que Death Stranding nous balance à la tronche de bout en bout sont dûs à l'immense talent de ce créateur génial, dont je préfère cependant ne pas trop évoquer la qualité du travail en détail tant il y a de séquences et d'environnements stupéfiants à traverser tout au long du jeu. Retenez-en juste que la création de Kojima Productions flatte la rétine quasi constamment (et on déplorera d'autant plus l'absence surprenante de mode photo !), que les chutes de framerate ne surviendront que lors de combats un peu trop massifs, et qu'il n'y a qu'en se montrant extrêmement pointilleux que l'on trouvera à redire sur la modélisation d'un monde ouvert aux dimensions aussi incroyables, jamais mis en difficulté. Et même sur PS4 de base, le tout tient étonnamment la route, du peu que j'ai pu en tester ! Bref, j'aimerais tant vous en dire davantage, mais ce serait gâcher tant de surprises, et il serait grand temps d'approcher de la conclusion : retenez donc que Death Stranding est très beau, littéralement envoûtant, invite constamment à l'exploration et au voyage en général, un plaisir d'ensemble auquel contribue grandement la réalisation d'ensemble quasi irréprochable. Une performance d'autant plus remarquable que le studio l'ayant conçu se constitue d'un effectif encore moins important que celui de Bend Studio pour Days Gone, qu'il explose dans absolument tous les compartiments – puisqu'il faut un peu comparer les deux seules exclusivités PS4 de l'année. J'éviterai du coup de vous dire que 25 fois moins de gens ont travaillé sur ce projet en deux fois moins de temps que Rockstar sur Red Dead Redemption II : vous n'oseriez y croire, n'est-ce pas ? Et pourtant…

 

 

 

 

Le réseau qui râle

 

 

J'ai préféré éviter de revenir sur pas mal de composantes de Death Stranding et pour cause : au-delà d'un scénario passionnant qu'il serait trop risqué de spoiler même en prenant le plus de précautions possibles, il y a tout simplement une quantité astronomiques de choses à décrire, à analyser, à disséquer sur un titre au gameplay aussi riche et complexe. En cela, il rappelle à nouveau Breath of the Wild parce qu'il s'avère tout simplement beaucoup, beaucoup plus vaste et fouillé que ce à quoi s'attendait, tout en offrant un monde ouvert s'étendant à perte de vue sans pour autant se montrer très vivant (ce que le scénario justifie cependant très bien). À l'instar de la merveille proposée par Nintendo pour accompagner le lancement de la Switch en mars 2017, Hideo Kojima et ses troupes souhaitent nous proposer ici une expérience novatrice, cherchant à se montrer sûrs d'eux pendant toute une période de développement ne disant pas grand-chose sur un titre dont on imaginait tout et n'importe quoi sans rien en savoir en vérité… tout cela pour livrer entre les mains des joueurs un produit dépassant allègrement leurs espérances. Sur à peu près tout ce qui fait Death Stranding (et son immense qualité, de mon point de vue), le joueur se fera sa propre opinion : déjà parce que l'open world favorisera la grande variété et le renouvellement des situations, mais aussi des itinéraires pris par chacun(e) pour arriver à ses fins, ou bien de l'interprétation que l'on se fera d'un scénario aussi tortueux que passionnant et même, je l'ose, régulièrement bouleversant. Mais mieux encore, si j'ai pu avoir l'immense privilège de faire partie de la sélection de professionnels du milieu désignés pour découvrir l'univers créé par Kojima Productions, j'attends et appréhende tout autant de voir ce que les gamers traditionnels en feront. En effet, il reste maintenant à savoir ce que les joueurs du monde entier vont faire de Death Stranding. Comme l'a martelé le patron du studio qui porte son nom sous forme de slogan durant des mois, "tomorrow is in your hands" : l'avenir est entre vos mains, vous qui jouerez à sa création et ferez usage des innombrables outils mis à votre disposition pour renforcer le lien avec les autres joueurs, et donner encore une autre dimension à cette œuvre hors du commun. Nous sommes face à un cas rare, voire peut-être unique, d'aventure pourtant 100% solo mais que la dimension coopérative presque fantôme transcendera.

 

 

Les joueurs adhéreront-ils à Death Stranding et son monde ouvert aussi sublime que vide, quasi vierge de toute interaction en-dehors de celles qu'ils se créeront entre eux… s'ils en ont envie ? Le destin d'un titre aussi exceptionnel sur sa conception reposera en effet sur la bonne volonté des joueurs, dont il faut espérer qu'ils jouent le jeu à fond pour rendre l'expérience collaborative à la hauteur de ce que Hideo Kojima en espère. Bien sûr, ce titre pas comme les autres pourra être savouré seul, et comme je l'expliquais précédemment, c'est même ici que se trouvera son véritable challenge si vous souhaitez l'expérimenter comme le défi d'un livreur seul, isolé et contraint de transporter le poids du monde sur ses épaules. Personne ne vous en voudrait, et il est de toute façon très probable que vous soyez suffisamment séduit(e) par défaut par la grande diversité de gameplay de cet étonnant jeu d'action-aventure, que l'on peut totalement se permettre d'étiqueter "RPG" compte tenu de la variété ahurissante de situations et/ou de personnalisations à tous les étages. Si vous franchissez le cap de l'épisode blindé de tutoriels où vous vous déplacerez littéralement à deux à l'heure et râlerez devant les interruptions récurrentes d'une procession déjà chiante comme la mort, et que vous parvenez alors à déjà percevoir l'originalité hors normes des idées de jouabilité, il est plus que probable que vous deveniez accro à Death Stranding et à son propos qui mérite réellement d'être encensé. S'il est tout à fait possible de ne pas aimer ce titre – question que j'admets même m'être posée au début, où je le trouvais intéressant mais ennuyeux – il est quasiment obligatoire d'admettre qu'un concept pareil était nécessaire, et qu'il est vraiment chouette qu'un tel jeu existe. Le titre de Kojima Productions est du coup ce que je qualifierais d'une œuvre nécessaire, et qui à titre personnel m'a suffisamment marqué, surpris et emballé sur la durée (un peu plus de cent heures de jeu à l'heure de livrer cette critique) pour le qualifier tout simplement de chef-d'œuvre quasi intemporel. Tout le monde ne le pensera pas, il est même probable que ce titre divise immensément et même parmi les reviews spécialisées, mais n'est-ce pas là la marque des plus grands ? Et puis après tout, à une ère où la prise de risques n'existe pratiquement plus que du côté des indépendants (*), il est remarquable de voir un game designer de renom, viré d'un des plus grands noms de l'industrie et remis en cause même par une frange non négligeable de ses plus grands fans, oser quelque chose de nouveau et jusqu'au bout, de croire en ses idéaux.

 

(*) Kojima Productions a beau essayer de nous le faire croire par tous les moyens, ce n'est pas un studio indépendant, faut pas déconner non plus.

 

 

 

 

Tous les ans, le jeu vidéo espère se trouver un "GOTY" ou un game changer révolutionnant son industrie. Aux yeux de beaucoup, Death Stranding avait cette prétention, mais absolument personne ne pouvait imaginer s'il pouvait en avoir les épaules, hors dimension technique dont on se doutait bien de la qualité en avance. Beau à en tomber et mû par un scénario alambiqué comme il faut, mais terriblement solide et marquant sur la durée, le premier jeu de Kojima Productions en tant que studio affranchi de Konami offre surtout une expérience de gameplay incroyablement originale et intelligente, comme on n'en avait pas connu de telle depuis bientôt trois ans et un certain The Legend of Zelda: Breath of the Wild. Et pour cause : l'exclusivité que Sony perdra l'été prochain au profit du PC propose quelque chose de résolument novateur, à travers non seulement d'innombrables mécaniques de jouabilité s'assemblant toutes à la perfection, mais aussi une autre idée du monde ouvert et de la progression qu'un joueur peut effectuer en son sein. Le dernier Zelda avait pris soin de ne pas trop en dire pour mieux surprendre les joueurs : le dernier Hideo Kojima en fait de même, avec l'audace qui le caractérise. Si Death Stranding parvient à être magnifié par les joueurs de la planète toute entière lorsque ces derniers expérimenteront sa dimension communautaire en ligne, il gagnera le plus beau de ses paris ; mais en attendant, il a déjà remporté le plus important, à savoir tenir les promesses que l'on croyait irréalisables d'une ambition ahurissante, celle d'un créateur que l'on pensait un peu mégalo, mais qui a trouvé le moyen de surprendre tout son monde en s'entourant d'une équipe et d'un casting exceptionnels. Le projet était étrange mais prometteur ; la réalisation est sublime, l'histoire racontée passionnante, mais surtout, l'expérience proposée est totalement déroutante et inoubliable. Death Stranding est un jeu pas comme les autres et fera date : il n'y a désormais plus qu'à espérer que le succès soit au rendez-vous car il serait beaucoup trop triste qu'une œuvre aussi unique échoue dans les limbes d'une industrie aussi impitoyable à qui elle souhaite tant donner.



J'ai adoré / aimé :

 

+ Une expérience originale, audacieuse, et parfaitement unique en son genre

+ La variété et la complexité ahurissante du gameplay et ses innombrables facettes

+ Durée de vie incroyable (40h en ligne droite, bien plus du double pour les 100%)

+ Monde ouvert immense, superbe, varié et génial à parcourir

+ Un jeu de quêtes FedEx assumé comme tel… et réussi comme tel !

+ Tout le concept du lien dans son ensemble, une vraie belle réussite

+ On ne fait qu'un avec Sam et on s'attache vraiment au moindre de ses objectifs

+ Chaque commande procure un étonnant sentiment d'accomplissement

+ Des sensations réalistes dans les déplacements, avec les notions de poids et d'équilibre

+ Le moteur Decima envoie vraiment du bois (la pluie, quelle merveille !)

+ Grosse maîtrise technique d'ensemble pour une "première"

+ De quoi réconcilier beaucoup de gens avec Hideo Kojima

+ Des acteurs au top pour des cinématiques de très haute volée

+ La thématique d'ensemble sur la mort, passionnante et maîtrisée

+ Un mystère bien maîtrisé et des réponses cohérentes à nos questions

+ Bande originale de qualité, surtout au niveau de la playlist, d'excellente facture

+ Challenge bien réel (et sur la durée) si on décide de jouer offline…

 


J'ai détesté / pas aimé :

 

– … au point de passer à côté du propos de l'œuvre

– Le début est quand même long, lent et ennuyeux

– Un "méchant" un peu caricatural, bien que bien interprété

– Combats de boss sans aucune profondeur de jeu

– Séquences de shoot pas folles, et IA humaines tristounettes

– Il faut quand même adhérer au délire scénaristique

– Quelques ralentissements lors du trop-plein d'action

– Beaucoup, beaucoup de texte, et un HUD parfois surchargé

– Pas de mode photo (à venir dans une mise à jour ?)

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