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Ghost of Tsushima – Au pays du soleil couchant

Des pavés dans la mer

6 octobre 2020

Si l'on a longtemps cru que The Last of Us Part II ferait office de titre testament de la PlayStation 4, le titre de Naughty Dog connut finalement la même destinée que son ancêtre, sorti quelques mois avant la nouvelle génération mais suivi de Beyond: Two Souls et Gran Turismo 6 pour clôturer un exercice 2013 extrêmement riche. Sept ans plus tard, c'est à Sucker Punch, créateur de Sly Cooper et inFamous sur les deux précédentes générations de consoles PlayStation, que revient ce prestigieux privilège avec un titre justement très axé sur la notion d'honneur : Ghost of Tsushima. Prenant place dans un Japon féodal rarement exploré par les studios occidentaux, le premier titre du studio depuis six ans – et un inFamous Second Son de bonne facture mais pas mémorable – est-il capable de refermer en beauté un septennat marqué par les exclusivités de haute (voire très haute) volée du côté de PlayStation, ou n'est-il hélas pas à la hauteur de l'immense responsabilité que Sony confie à un studio finalement un petit peu secondaire en comparaison de Naughty Dog, Santa Monica ou Guerrilla ? C'est en suivant les pas de Jin Sakai, samouraï déchu, et en empruntant avec lui la mystérieuse voie du fantôme, que l'on saura si Sucker Punch entre dans une nouvelle dimension et est prêt à refermer dignement un chapitre particulièrement réussi de l'histoire de Sony Interactive Entertainment.



Note sur les conditions de jeu :

 

Cet article se base sur une partie de Ghost of Tsushima complétée à environ 100% (trophée de platine dans la poche, quelques objets à collectionner facultatifs encore manquants) étalée sur plus ou moins 50 heures de jeu (estimation personnelle faute de suivi et de statistiques in-game). La partie a été intégralement jouée sur PlayStation 4 Pro et sur un écran 4K avec HDR activée, même si j'ai comme toujours installé également le jeu sur une PS4 "fat" connectée à un écran HD classique pour faire quelques tests sur la version "de base" du jeu. Je remercie Sony Interactive Entertainement pour la version dématérialisée fournie, et comme de coutume, je rappelle que toutes les captures d'écran illustrant cette critique ont été effectuées par mes soins, à partir du mode photo du jeu.

 

 

 

 

La voie de l'ombre

 

 

Quelle que soit la génération de consoles PlayStation, on n'a un peu toujours eu d'yeux que pour les mêmes : Naughty Dog bien sûr, historiquement, des "cartoonesques" Crash Bandicoot et Jak & Daxter aux plus adultes Uncharted et The Last of Us ; Santa Monica Studio, exclusivement focalisé à une seule série (mais quelle série), God of War ; Polyphony Digital, lui aussi connu essentiellement pour Gran Turismo, seule et unique licence de l'ère "PS1" encore présente dans l'écosystème PlayStation de nos jours ; sans oublier Insomniac, présent depuis les débuts de la marque avec Spyro the Dragon puis Ratchet & Clank, une parenthèse militarisée avec Resistance, et le retour en fanfare de Spider-Man… voire Japan Studio et sa collaboration avec les "teams" Siren et Ico, ou encore Guerrilla Games, s'étant fait connaître avec Killzone puis Horizon. À côté de cela, Sucker Punch a presque l'air tout petit, malgré des licences de grande qualité au succès d'estime pourtant toujours un ton en-dessous : si la trilogie Sly, remasterisée ensuite sur PlayStation 3, était de grande qualité, elle gardera toujours ce statut d'outsider aux côté des deux autres licences "cartoon" fortes de la PlayStation 2 (Jak & Daxter et Ratchet & Clank, donc). Bis repetita sur PS3 avec l'arrivée d'une nouvelle licence, inFamous, très correcte mais pas forcément du niveau des deux premiers Uncharted ni du God of War III qui s'annonçait, et au deuxième épisode franchement excellent mais un peu trop souvent oublié, la faute à une absence de portage sur la génération suivante. Sucker Punch avait cependant la chance de sa vie ou presque en début de vie de la PS4, en se voyant presque accidentellement recevoir la lourde responsabilité d'offrir à une console en manque de grandes exclusivités un premier grand "killer-app" digne de ce statut, avec un inFamous Second Son hélas sans grand génie. Alternant les jeux soit tout juste bons mais sans plus, soit les excellents titres hélas pas passés à la postérité, le studio que tout le monde oublie un petit peu ressortait de l'ombre à l'occasion de la Paris Games Week 2017 en annonçant sa nouvelle création.

 

 

 

 

S'il ne révélait pas grand-chose, Ghost of Tsushima trouvait cependant le moyen de susciter un engouement non négligeable chez des joueurs qui attendaient encore un très gros paquet d'exclusivités sur PS4 jusqu'à la fin de la génération (encore sept à l'époque !), mais dont on ignorait alors qu'elle serait la toute dernière majeure à être dévoilée – non, MediEvil, annoncé à peine un mois après lors de l'ultime PlayStation Experience à ce jour, est bien trop secondaire pour être retenu dans cette catégorie. Il faudra cependant attendre l'E3 2018 pour en entendre de nouveau parler, lors de ce qui reste la dernière conférence PlayStation publique à l'heure où j'écris cette critique, et où le nouveau jeu de Sucker Punch fut mis en avant de façon théâtrale à travers, notamment, une séquence de près de dix minutes mêlant cinématiques et gameplay et passant (là encore !) juste après The Last of Us Part II, celui pour qui les observateurs n'avaient que d'yeux. À cette occasion, on commença alors à entrevoir la perspective d'un énième jeu d'action-aventure en monde ouvert avec éléments de progression type RPG, lorgnant davantage du côté d'un Assassin's Creed au Japon féodal – fantasme d'un paquet de joueurs soit dit en passant, votre serviteur en tête ! – que d'un Sekiro: Shadows Die Twice lui aussi à venir, impitoyable et à l'image des fameux "Souls" dont ses concepteurs furent également les auteurs. Après un silence radio d'un an et demi, il fallut se contenter d'un bref trailer aux Game Awards 2019 puis d'un vague "été 2020" en guise d'annonce de fenêtre de sortie, jusqu'à une longue présentation au printemps 2020, sous forme d'un "State of Play" qui détailla alors enfin le cœur de cette nouvelle création, bien plus en profondeur que l'on n'en avait entendu parler jusqu'ici. La perspective d'un nouvel open world moderne plus que classique, "à la Assassin's Creed" ou plutôt, façon Horizon Zero Dawn ou Days Gone, devint alors une évidence et confirma que Sucker Punch n'allait pas révolutionner grand-chose pour terminer la vie de la PS4. Une fois de plus, un de ses jeux risquait bien de rester dans l'ombre, aussi prometteur fut-il…

 

 

 

 

Shōgun Blues

 

 

À moins d'être particulièrement séduit(e) par le Japon rural et – surtout – médiéval, il faut avouer que Ghost of Tsushima ne donnait pas forcément de raisons de s'extasier de prime abord : il y avait en effet de quoi s'interroger sur la nécessité de la part de Sony de produire un énième jeu dans un style vu et revu tout au long de la décennie qui s'achève, et ce n'était pas la promesse des développeurs d'une nouvelle vision du monde ouvert qui allait radicalement changer la donne. Certes, pour ma part, j'étais tout à fait emballé face à l'éventualité que ce nouveau titre de Sucker Punch soit en quelque sorte cet "Assassin's Creed au Japon" que nous sommes nombreux à attendre depuis des années, mais il fallait peut-être un peu plus que cela pour que ce studio talentueux, mais hélas jamais récompensé à sa juste valeur, atteigne une nouvelle dimension. La crainte de devoir passer après l'exceptionnel The Last of Us Part II (dont je vous renvoie à la lecture de ma critique) n'arrangeait rien à son cas, et ce en dépit d'un "State of Play" franchement prometteur et encourageant vendant très bien la dernière exclusivité que nous allions donner à manger à notre PS4. Comme souvent, on ne juge que sur pièces, et derrière sa plastique aguicheuse mettant en avant des feuilles de toutes les couleurs se dispersant partout dans l'environnement au gré du vent, il convenait de savoir ce que valait Ghost of Tsushima manette en main. Après les aventures d'un raton-laveur espiègle roi de l'infiltration, et prince des voleurs bien avant un certain Nathan Drake, puis celles de super-héros modernes faisant régner la loi (ou le chaos, selon le choix du joueur) dans des environnements urbains grâce à leurs pouvoirs électrifiants, Sucker Punch a décidé de rendre hommage aux films de samouraï japonais – en particulier ceux du réalisateur Akira Kurosawa, maître en la matière – à travers une nouvelle aventure qui se veut un minimum épique, mais surtout très fidèle au pays, à ses coutumes, son histoire, et aux modèles auxquels il veut rendre hommage. Un pari pour le moins audacieux : s'il est devenu presque trop facile, pour les studios dotés du budget nécessaire à la production d'un triple A contemporain, de concevoir une œuvre réaliste et magnifique à la fois, c'est du côté de la question de l'âme que Ghost of Tsushima sera jugé, par des joueurs (et surtout une presse) aux allures de shōgun de plus en plus sévères face au moindre manque d'innovation et de créativité.

 

 

 

 

Qu'ils soient spécialistes de l'histoire du Japon ou non, les joueurs du monde entier trouveront peut-être enfin un terrain d'entente sur un point bien précis : ce n'est pas un pays, et a fortiori son riche passé, que les artistes occidentaux savent dépeindre avec justesse, et surtout autant de brio que leurs homologues japonais. En effet, qui de mieux pour nous immerger en pleine époque de Kamakura, ère s'étendant sur tout le XIIIè siècle et débordant sur ceux qui l'encadrent, que des développeurs nippons ? On pensera évidemment, pour ce qui est du Japon historique – et pas nécessairement féodal, histoire de ne pas commettre d'impair fatal – à des titres comme Tenchu ou plus récemment Sekiro ou les deux Nioh (aux univers plus fantastiques, mais inspirés d'un Japon tout aussi ancien), tous conçus par des studios japonais. Sucker Punch n'en a cure : passionné par cette époque historique et son cadre tout bonnement fascinants, le studio basé près de Seattle se revendique suffisamment fan du travail de cinéastes de légende comme Kurosawa pour marcher sur les traces de ce dernier et dépeindre le Japon comme jamais des développeurs occidentaux ne l'ont fait. Force est de constater que dans l'ensemble, le pari est plus que tenu, et le succès commercial et critique dithyrambique du titre dans l'archipel confirme cette impression : à aucun moment, les équipes de Nate Fox – le bien-nommé ! – ne se permettent de singer un pays qui aurait terriblement mal reçu que de vilains gaijin caricaturent sa riche et passionnante histoire avec imprécision. S'il n'est pas trop difficile, en soi, d'en produire une reconstitution topographique digne de ce nom, c'est davantage sur le fond que les créateurs de Sly Cooper et Cole MacGrath ont effectué un travail remarquable, quitte à imposer chez les protagonistes des attitudes et des réactions qui pourraient sembler stupides ou illogiques chez des Occidentaux pas forcément en phase avec les codes régissant la vie des samouraïs.

 

 

 

 

Si j'évoque aussi tôt l'aspect purement scénaristique dans cette critique, ce n'est pas parce que je souhaite l'expédier car bâclé, mais tout simplement par souci de ne pas trop en dire, d'expliquer pourquoi son traitement est parfaitement correct et appréciable, et d'enchaîner ensuite sur des questions de gameplay et de technique pures. En effet, il convient tout simplement de retenir que Ghost of Tsushima, sans être forcément le mieux écrit des jeux de la galaxie Sony Interactive Entertainment, nous offre une histoire vraiment agréable à suivre, réellement passionnante par moments, qui transpire l'authenticité et le respect de l'univers dépeint en permanence. La quête de Jin Sakai, mêlant vengeance, rédemption et honneur, nous fera traverser plusieurs arcs narratifs, dont une bonne partie de facultatifs, à côté desquels il serait franchement dommage de passer sous peine de tout simplement louper une bonne partie du cœur du scénario. Si le traitement de chaque personnage secondaire n'est pas forcément parfait, une bonne partie de ces derniers s'avère extrêmement satisfaisante voire touchante, et le titre de Sucker Punch devient très vite un de ces jeux d'action-aventure en monde ouvert dont l'univers se dévoile grandement au fil des missions annexes, ici appelées "récits", qu'il convient de ne pas négliger pour apprécier le jeu à sa juste valeur. Bien entendu, on peut se contenter de filer en ligne droite, et de ne suivre qu'une trame principale assez classique dans sa conception – surtout pour quiconque a déjà fait au moins un des inFamous, dont la construction en trois grandes zones ouvertes successives est reprise avec beaucoup de justesse et d'équilibre ; cependant, Ghost of Tsushima étant un peu court en ne s'intéressant qu'à son scénario de base, il serait vraiment dommage de se priver de ses nombreux à-côtés, qu'il s'agisse de quêtes secondaires, d'objectifs facultatifs en tous genres et de collectibles pour le coup parfaitement bien intégrés à l'ensemble. En plus d'être franchement bien écrit, à défaut d'être toujours crédible à nos yeux d'Occidentaux comme je l'évoquais plus haut, cet héritier inattendu de Tenchu et de Way of the Samourai ne se disperse pas dans une boulimie de contenus optionnels étalés un peu partout juste pour faire du remplissage ; non, il les répartit intelligemment, sous une forme vraiment intéressante et adaptée, et là encore, c'est tout à son honneur.

 

 

 

 

Un nouveau souffle sauvage

 

 

En terme de structure pure, Ghost of Tsushima n'a donc rien de très original, et comme je l'expliquais, tout particulièrement pour quiconque a poncé les trois épisodes de inFamous, précédente production du studio. On comprend immédiatement, dès que l'on prend le contrôle libre de Jin Sakai une fois l'introduction terminée, que l'île de Tsushima se divise en trois grandes zones et qu'il faudra atteindre un point spécifique du synopsis, sous forme de tournant scénaristique majeur, pour débloquer la suivante. Que l'on se rassure néanmoins : chacune des trois parties de l'île est franchement passionnante à explorer, non seulement parce que les lieux à découvrir s'avèrent riches et se renouvellent plutôt bien, et ce même si les objectifs à remplir donnent le sentiment de verser dans un trop-plein de répétivité. En effet, de prime abord, le schéma peut sembler déjà connu : l'île étant en proie à une invasion mongole dont occire le chef constitue la finalité de notre aventure, on devra donc nettoyer de nombreux camps ennemis pour réduire leur présence, mais aussi débloquer une partie de la carte. En vérité, la superficie de cette dernière dévoilée une fois un camp vidé de ses occupants est assez faible, ne révèle pas grand-chose, tout ceci pour une seule et bonne raison : le jeu de Sucker Punch ne conçoit pas l'exploration d'un monde ouvert de façon traditionnelle. Il se pose en effet en tant que premier véritable successeur d'un certain The Legend of Zelda: Breath of the Wild dans sa vision d'une nature sauvage et variée, dont l'exploration ne doit pas se faire sur la base des standards vus et revus de cette dernière décennie. Si la révolution de Nintendo avait amorcé cette philosophie en proposant un affichage en mode "Pro", dont le but était de s'affranchir de toute forme de mini-carte ou de boussole, elle laissait quand même le choix au joueur de bénéficier de suffisamment de marqueurs de quête et d'aides en tous genres pour ne pas se perdre dans son immense univers. Ghost of Tsushima, lui, dispose bien d'une carte accessible depuis le menu de pause, mais n'offrira jamais le moindre indicateur à l'écran autre que le sens du vent, qui souffle sur les végétaux et les vêtements du héros pour nous donner la direction à suivre afin d'atteindre l'objectif choisi sur la map principale : une vision de gameplay qui traduit les espérances de développeurs désireux que le joueur s'intéresse à l'environnement et non à son ATH – ce dernier n'apparaîtra en effet qu'en combat, là où sa présence est de toute façon beaucoup plus légitime.

 

 

 

 

Ce concept parfaitement assumé, et jamais remis en cause par d'habiles exceptions qui pourraient le trahir, donne ainsi une toute autre dimension à ce qui aurait pu être un énième open world qui n'aurait alors plus eu que sa potentielle magnifique réalisation pour le sauver. Dans le cadre de l'hommage de grande qualité rendu au Japon féodal, Sucker Punch a mis au monde un environnement aussi sublime que crédible, retranscrivant avec une fidélité stupéfiante les temples et demeures locales telles que les visites touristiques les plus fascinantes dans ce pays peuvent nous en faire rêver. Mieux encore, il cherche à ne pas se contenter des mouvements du vent pour orienter le joueur, mais met également habilement en scène, quitte à un peu "forcer" sur ce type d'élément, des animaux de l'île pour nous faire découvrir des lieux secrets à débloquer. On s'habituera ainsi davantage à suivre des oiseaux bien spécifiques (et très visibles grâce leur plumage jaune vif), faire attention aux arbres entourés de lucioles, et surtout repérer et suivre ces fameux renards adorables – et que l'on peut caresser, ce qui en fait de facto un grand jeu – conduisant notre héros aux sanctuaires d'Inari, matérialisés sous forme de petits autels décorés de statues à l'effigie de l'animal sacré du folklore local. Cela pourrait n'être qu'un détail, mais Ghost of Tsushima retranscrit délicieusement bien ce qu'est le Japon des temples et sanctuaires, et je ne vous cacherai pas qu'avoir eu le privilège de visiter Fushimi Inari près de Kyōto, ou le parc de Nara par exemple, fut d'une grande aide pour apprécier la subtilité du travail des artistes du studio à ce niveau. Sucker Punch veut nous plonger en immersion dans un pays et une époque bien spécifiques avec une grande fidélité et s'y prend avec brio en respectant avec beaucoup de soin les éléments les plus précieux du paysage local, ce qui représente ici une très jolie prouesse.

 

 

 

 

Cependant, il ne se contente pas d'une reconstitution extrêmement qualitative de bâtiments historiques – quitte à les copier-coller un peu trop par moments – mais nous offre surtout des paysages au charme hors du commun. Si jouer sur un écran 4K en activant le HDR et en version PS4 Pro constituera ici un plus non négligeable (le jeu est clairement moins beau sur une console "de base"), il est difficile de ne pas se pâmer devant ce kaléidoscope automnal faisant passer Horizon Zero Dawn pour un jeu terne et froid. Vous vous souvenez de la forêt aux feuilles rouges et aux herbes oranges de God of War ? Attendez-vous à en prendre plein les mirettes constamment sur l'île de Tsushima, dont les feuillages feront ressortir toute la magie de l'imagerie à haute gamme dynamique dont de tels décors veulent clairement faire la publicité. Le plus étonnant reste que cela ne semble à aucun moment particulièrement irréaliste, tant une île japonaise semble taillée sur mesure pour de telles couleurs aussi envoûtantes, et qui offrent au "successeur" purement calendaire de The Last of Us Part II une espèce de gros supplément d'âme qui nous rappelle un petit peu qu'on est davantage dans un jeu vidéo qu'une expérience proche du cinéma interactif. Parce que oui, Ghost of Tsushima sonne finalement beaucoup plus "jeu vidéo" quand on s'y met juste après la production de Naughty Dog, ne serait-ce que dans les mouvements du héros, pas toujours très réalistes, ou les animations faciales un peu rigides voire réduites à leur portion congrue durant les cinématiques. Doit-on vraiment s'en plaindre ? Pas tant que ça, même si forcément c'est un tout petit peu décevant, vu qu'il en résulte au final un jeu très agréable à jouer, à la prise en main franchement propre… et surtout, qui ne dessert à aucun moment une jouabilité parfois plus complexe qu'il n'y paraît.

 

 

 

 

En outre, il n'y a finalement que dans des intérieurs très "copier-coller", pas très remplis et donnant la drôle d'impression d'avoir été bâclés, que l'exploration trouve ses limites, et de toute façon l'essentiel est ailleurs : c'est vraiment en vous baladant dans la nature que vous débloquerez 95% de ce que propose le titre : sanctuaires, phares, sources chaudes, haïku à composer, bambous d'entraînement… et j'en passe. Ceci concerne également le mode de découverte et d'activation des quêtes annexes, qui n'apparaîtront la plupart du temps qu'en vous approchant à quelques dizaines de mètres du personnage les déclenchant, à moins d'avoir rencontré un autre PNJ précédemment – en le sauvant d'une troupe mongole par exemple – vous donnant des indications sur un lieu précis à aller explorer. Cerise sur le gâteau : non seulement les déplacements sont fluides et agréables (sauf lorsque le terrain devient accidenté, notamment parce que la grimpette est scriptée et qu'en 2020, cela devient un peu tristounet), le cheval est un précieux allié fort appréciable, mais surtout… les voyages rapides – et les loadings d'une manière générale – méritent carrément bien leur nom pour une fois. À l'aube d'une PlayStation 5 misant beaucoup sur son disque dur SSD et les temps de chargement hyper réduits qu'il permettra, la dernière grande exclusivité de sa devancière nous donne un surprenant aperçu de ce dont l'avenir devrait être fait, avec moins de 10 secondes pour se rendre d'un point à l'autre de la carte ! Un vrai bonheur, qui témoigne d'un titre pour le coup hyper bien optimisé, surtout que le framerate est très rarement mis à mal en dépit d'une belle distanche d'affichage et de centaines de feuilles volant dans tous les sens pendant de nombreuses séquences. À la rigueur, comme souvent, c'est moins le cas sur une PS4 de base (où, j'insiste, le jeu est vraiment moins joli), mais on reste sur un titre très stable l'essentiel du temps avec des drops vraiment peu fréquents : l'expérience proposée est quasi constamment fluide malgré certaines prétentions dans la réalisation, et ça fait vraiment super plaisir.

 

 

 

 

Mortels combats

 

 

Vous l'aurez compris, le jeu de Sucker Punch n'est pas spécialement une révolution dans son gameplay, bien qu'il se permette une proposition d'exploration un minimum originale à travers sa négation audacieuse des indicateurs traditionnels. Cependant, cela pourrait ne pas suffire si tout ce qui touche à la maniabilité du personnage, son évolution et le système de combat reste convenu ; fort heureusement, là aussi, Ghost of Tsushima trouve un moyen très appréciable de briller et de se distinguer un minimum de ces innombrables action-RPG en monde ouvert dont l'évolution du personnage se fait à travers un sacro-saint arbre de compétences. S'il ne renie pas la base établie par ses semblables, il se permet au moins de diversifier un peu plus cet aspect de son excellent menu – pour le coup très lisible – en offrant plusieurs axes d'évolution, et en insistant pas mal sur le concept de positions du samouraï à adopter en fonction de l'équipement ennemi. Si, encore une fois, il n'y a rien de spécialement nouveau dans le fait de diversifier les styles d'attaque d'un personnage dans un jeu vidéo, la manière dont cela est conçu autour de Jin Sakai est très appréciable. Doté uniquement d'un katana et, assez rapidement, d'un arc tous deux à améliorer moyennant bon nombre de ressources – sans parler de très nombreuses personnalisations d'ordre cosmétique qui n'influent en rien sur le gameplay – notre héros pourrait sembler assez limité dans ses mécaniques de combat, mais celles-ci prennent une toute autre dimension lorsque le jeu nous permet d'alterner les approches défensives et surtout offensives en se basant sur l'adversaire. D'un simple "switch" entre des styles de mouvement à débloquer au fil de l'aventure, le samouraï déchu pourra défaire plus facilement des opposants armés de lances, d'épées, ou se défendant avec un bouclier… même si, en difficulté normale en tout cas, cela finira par donner l'impression de trop donner l'ascendant sur ces derniers. Enfin, pour ce qui est des ennemis basiques, car vous n'aurez clairement pas affaire aux mêmes difficultés face à ceux que vous devrez défier en duel…

 

 

 

 

Puisque l'on parle de duels, Ghost of Tsushima se distingue également dans la mise en scène de ses affrontements, avec une mention spéciale pour les confrontations qui s'avéreront aussi redondantes que spectaculaires. Dès que vous croisez un groupe d'ennemis, avant que ces derniers ne vous aient repéré – à ce niveau, les jauges de repérage font preuve d'un clacissime un peu navrant, aussi bien dans leur réalisation que dans leur exécution – vous pourrez les provoquer et exécuter froidement d'un coup de lame sec le premier d'entre eux qui s'avance… à condition d'avoir un timing quasi parfait. Participer à une confrontation, en plus d'offrir une expérience pour le coup vraiment très cinématographique, a quelque chose de carrément jouissif lorsqu'on la remporte, et surtout lorsque l'on enchaîne les kills dévastateurs et sanglants ; a contrario, si vous loupez le bref laps de temps où l'ennemi vous attaquera pour riposter et l'abattre d'un seul coup de katana ravageur, vous serez grièvement blessé et perdrez l'avantage d'un potentiel combo vous offrant des avantages très généreux, notamment en terme de détermination. Cette capacité propre à Jin, matérialisée par des cercles que vous remplissez au fil des ennemis blessés puis abattus, vous permet de régénérer manuellement votre santé en plein combat puis, plus tard dans l'aventure, d'enclencher des attaques dévastatrices dont je tairai le fonctionnement et toute forme de descriptif pour vous préserver l'effet de surprise : sachez juste que ça en jette, et que maintenir ladite jauge de détermination à un certain niveau constituera rapidement une quasi obligation si vous ne voulez ni vous compliquer la vie, ni passer l'intégralité de vos combats avec une santé au plus bas… et risquer une mort pas très honorable au moindre dégât reçu. Bien évidemment, comme votre jauge d'énergie, la détermination fait partie de ces éléments que vous pourrez augmenter au fil du jeu, et qui justifiera de passer pas mal de temps à explorer les environs pour mieux l'optimiser. Les combats ne deviendront agaçants qu'à un seul moment en vérité, à savoir lorsque vous devrez subir un choix délibéré et toujours aussi discutable de Sucker Punch : l'absence de toute forme de verrouillage des ennemis. En nous affranchissant du bon vieux lock, les développeurs ont voulu fluidifier les affrontements et nous obliger à jouer de façon plus dynamique, mais cela peut rendre l'ensemble particulièrement brouillon et démesurément compliqué par moments, surtout qu'il n'a pas été prévu d'assigner la moindre touche à une fonction pourtant devenue essentielle ou presque, à savoir replacer d'un coup la caméra derrière Jin. Le mapping global des touches s'avère par ailleurs un petit peu étrange (la sur-exploitation de R2 pour les actions contextuelles est pour le moins curieuse) mais on finit par s'y faire…

 

 

 

 

Autant en emporte le vent

 

 

Au fil de votre aventure, vous serez amené(e) à dessiner vous-même les contours de la lente transformation de Jin en une arme fatale crainte par l'envahisseur mongol, ce qui se fera cependant avec une certaine linéarité mine de rien : si la progression donne l'impression de personnaliser votre approche, l'évolution devrait quand même s'avérer assez similaire pour tous les joueurs avec, là encore, une finalité assez identique. L'objectif est de devenir le fantôme de Tsushima, avec tout ce que cela implique comme remise en question des codes d'honneur du samouraï et de tout un tas de règles essentielles que furent celle de Jin, afin de parvenir à ses fins. Plus vous débloquerez de nouvelles aptitudes, plus manier le héros sera agréable tant vous pourrez alterner les angles d'attaque, mais cela ne servira hélas qu'à compléter avec un peu plus de variété des missions dont la redondance dessert quelque peu une écriture quand même en dents de scie. Certes, Ghost of Tsushima bénéficie d'un scénario que je persiste à trouver soigné voire passionnant par moments, avec bon nombre de personnages secondaires forts aux destinées vraiment captivantes, mais il se perd un peu trop régulièrement en faiblesses narratives que la répétitivité parfois effrayante de la boucle de gameplay n'aide en aucun cas à estomper. C'est davantage cette exploration libre en grande partie dirigée par l'environnement et ses subtilités qui viendra régulièrement sauver la mise, brisant avec efficacité la routine qui risque de s'installer, tant vous serez naturellement amené à faire parler votre curiosité pour dévoiler davantage la carte de l'île – là où d'autres open worlds nous guident avec trop d'insistance vers des objectifs évidents qui divulguent une superficie toujours très généreuse, et font perdre une grande partie de l'intérêt des jolis mondes ouverts qu'ils nous font parcourir.

 

 

 

 

En effet, même si l'on pourrait craindre que cet environnement fascinant relève du trompe-l'œil, Sucker Punch a trouvé le moyen de proposer une map passionnante à découvrir par soi-même, au gré de ces bosquets, collines et innombrables lieux sacrés – le moindre torii donne bien trop envie d'entamer le chemin dont il fait partie et d'atteindre le sanctuaire vers lequel il nous dirige ! – que le mode photo très complet, pour ne pas dire ingénieux, sublime un peu plus. Riche en effets visuels en tous genres, afin de ne jamais la jouer trop sérieux, Ghost of Tsushima nous invite également à tenter de jouer en mode Kurosawa, à savoir avec une vue cinéma à l'ancienne : des bandes noires, du noir et blanc, et des crépitements d'image et de son. Un petit plus immersif qui rendra le jeu évidemment plus difficile, surtout si vous comptez sur les superbes couleurs de l'île pour faire office de repère visuel… et qu'il est possible de coupler, si vous avez envie d'un challenge particulièrement corsé, au mode dit "létal" arrivé assez rapidement avec première une mise à jour majeure du jeu. Rajoutez à cela des doublages japonais d'excellente facture, plus que vivement recommandés (davantage que les occidentaux, tout à fait corrects cependant, mais tellement moins authentiques !), et ce même pour un premier loop si lire des sous-titres ne constitue pas un handicap pour vous… et vous bénéficierez d'une expérience incroyablement immersive pour le coup, ceci d'autant plus que la bande originale s'avère carrément à la hauteur des espérances. Signée Shigeru Umebayashi et Ilan Eshkeri, quasi novices dans le monde du jeu vidéo mais très expérimentés (surtout le premier, très renommé dans le cinéma asiatique de ces 30 dernières années) et ayant même collaboré ensemble en 2007 sur Hannibal Rising, la BO du jeu de Sucker Punch est très soignée, mettant en valeur tout un tas d'instruments traditionnels typiques traduisant une nouvelle fois la volonté du studio de ne rien laisser au hasard, et de produire une œuvre capable de séduire et de faire voyager le joueur occidental… mais aussi et surtout, de plaire aux Japonais et de donner l'image de développeurs très respectueux du pays à qui ils ont voulu écrire une telle lettre d'amour. Comme toutes les déclarations de ce type, Ghost of Tsushima est beau et touchant, en fait peut-être un peu trop au point de sombrer dans l'imperfection par moments, mais il aura toutes les chances de faire mouche auprès de celles et ceux qui auront envie de se laisser tenter par une nouvelle aventure…

 

 

 

 

À travers l'expérience rafraîchissante proposée par Ghost of Tsushima, Sucker Punch n'entre peut-être pas forcément dans une nouvelle dimension faisant de lui l'égal d'un Naughty Dog ou même d'un Insomniac, mais il faut bien reconnaître infiniment plus de qualités que de défauts à leur dernière création. À moins de se montrer hermétique à ce pays fascinant qu'est le Japon, ou bien de ne jamais avoir été spécialement attiré(e) par la perspective d'un triple A moderne d'action-aventure situé sur l'archipel nippon en pleine ère médiévale, on y trouvera en effet à peu près tous les ingrédients nécessaire pour passer quelques très bonnes dizaines d'heures, surtout si l'on succombe à son concept d'exploration audacieux à défaut d'être totalement novateur. Pas exempt de tous reproches, notamment du point de vue d'une construction en fin de compte très classique, ou encore d'erreurs de finition l'empêchant de prétendre aux nominations pour le titre tant convoité de GOTY, Ghost of Tsushima est surtout une œuvre sincère de la part d'un studio qui semble y avoir mis beaucoup de passion et de cœur, et cherché à offrir aux joueurs quelque chose de terriblement authentique. En se montrant capable de représenter le Japon féodal avec une telle justesse et livrant une production aussi élégante d'un point de vue artistique, Sucker Punch ne referme peut-être pas l'ère PlayStation 4 avec la même puissance de frappe qu'un The Last of Us Part II, mais il conclut ce chapitre largement plus qu'avec de simples honneurs. De fait, et même si ce ne sera pas forcément votre tasse de saké, vous pourriez peut-être avec ce titre tomber sous le charme d'un open world enfin conçu un peu différemment, d'une fluidité d'exploration hors du commun, jusqu'à ces temps de chargement insignifiants qui constituent la plus belle transition vers les promesses de l'avenir du côté de l'écosystème PlayStation. Ghost of Tsushima est une très jolie lettre d'amour à tout un pays, une culture et une histoire, et un tout aussi beau cadeau d'adieu à une console à qui il offre un chant du cygne très séduisant.



J'ai adoré / aimé :

 

+ Un Japon féodal authentique et fascinant

+ Jin, un vrai héros de film de samouraï, à la destinée attachante

+ Une véritable ode à l'exploration, terriblement efficace

+ Le système d'orientation à travers la nature, un joli pari réussi

+ Monde ouvert crédible, pas trop dense, et intelligement rempli

+ Beaucoup de choses sympa à trouver, visiter et/ou débloquer

+ Durée de vie plus que correcte sans verser dans l'interminable

+ Système de récits plutôt bien foutu

+ Pas mal de personnages secondaires intéressants

+ Des combats vraiment (très) stylés

+ Le concept des positions en fonction du type d'ennemi

+ Techniquement propre et stable la majeure partie du temps

+ Temps de chargement très courts, un vrai plaisir

+ La difficulté "létale", à essayer !

+ Le mode photo et le mode Kurosawa, de toute beauté

+ Une touche visuelle colorée absolument délicieuse

+ Doublages et bande son très immersifs

+ Les renards ! (oui c'est un point positif)

+ Ce sentiment de jouer à un vrai "jeu vidéo" …

 


J'ai détesté / pas aimé :

 

– … avec ce que ça implique côté manque de crédibilité

– Parfois un peu vilain, surtout pour un jeu de fin de génération

– L'absence de verrouillage, un vrai souci quasi permanent

– Un certain manque de lisibilité lors des combats

– Les phases d'escalade, aussi peu réalistes que scriptées

– Modélisation des intérieurs (copiés-collés) sans charme ni saveur

– Un bien drôle de mapping des touches par moments

– Encore un action-RPG en monde ouvert qui ne réinvente (presque) rien

– Boucle de gameplay très redondante si l'on n'accroche pas à l'univers

– Les side quests pas intéressantes ne le sont vraiment pas du tout

– La trame principale est un peu courte

– Beaucoup moins joli (et fluide) sur PS4 de base

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