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RiME – Une autre idée de la poésie

Des pavés dans la mer

5 décembre 2018

Dire que les consoles de ces deux dernières générations offrent un (très) large choix de titres indépendants à vocation artistique serait un doux euphémisme. Les expériences proposées par tout un tas de studios méconnus, mais boostés par les grands noms de l'industrie sur la simple base des promesses d'un talent indéniable, sont innombrables et il en devient parfois difficile de savoir vers laquelle de ces productions aussi mineures qu'audacieuses et fascinantes se tourner. Me concernant, j'admets ne céder que très rarement à leurs sirènes et me laisser surtout influencer par la mise à disposition un peu plus importante de certaines, bien aidées par une popularité probablement justifiée. C'est le cas de RiME, création des espagnols de Tequila Works, non seulement portée en version boîte, mais aussi mise en avant par les promotions mensuelles du PlayStation Plus, ce qui favorise encore un peu plus la curiosité. La simple apparition récurrente de captures d'écran mettant en scène un adorable renard, couplées à une direction artistique tout en cel-shading franchement séduisante, achevait alors de me convaincre : parmi la ribambelle de jeux "indés" à tester et à compléter en quelques heures, le titre édité par Grey Box m'inspirait assez de préjugés positifs pour me jeter à l'eau.



Note sur les conditions de jeu :

 

Mon expérience de RiME s'est déroulée intégralement sur une version PlayStation 4 dématérialisée obtenue via le programme de jeux offerts aux abonnés PlayStation Plus. Même si mon premier contact (pour voir si le jeu me tentait) s'était déroulé il y a quelques mois sur une PS4 "fat", et que j'ai également touché à la version Nintendo Switch pour m'assurer de ne plus jamais y rejouer ensuite, cette critique se base sur une partie coupée en deux sessions (de trois ou quatre bonnes heures chacune) sur PS4 Pro. L'intégralité des screenshots a été realisée par mes soins, comme toujours.

 

 

 

 

L'esthétique globale mise en avant sur la jaquette et/ou les visuels promotionnels d'un jeu constitue, parfois inconsciemment, un des vecteurs d'achat principaux des joueurs. Dans le cas de RiME, les teintes bleutées d'un ciel magnifique se reflétant dans une mer étrangement calme marquent les esprits assez rapidement, tout comme cette sorte d'immense phare mystérieux surplombant l'île où se déroulera l'action. En mêlant ce bleu azur splendide et la blancheur de pierres omniprésentes, dans un style d'ensemble très méditerranéen aux allures d'archipel au large des côtes grecques, la direction artistique marque les esprits d'emblée car son identité transparaît immédiatement. Aussi, la thématique spatio-temporelle du jeu est habilement résumée en un seul artwork : il se déroulera très certainement exclusivement sur cette île aux falaises abruptes et dominée par quelques structures de pierre verticales dont on se doute qu'elles joueront des rôles majeurs dans le scénario. Ce dernier est introduit rapidement sans l'ombre d'un dialogue, nous familiarisant là aussi avec une des idées de ses créateurs qui souhaitent s'affranchir de tout script et laisser le déroulement de leur "histoire" à l'appréciation du joueur ; une conception bien entendu déjà vue, popularisée en grande partie par Fumito Ueda avec ICO puis Shadow of the Colossus deux générations en arrière, et de nouveau sublimée par The Last Guardian quelques mois avant l'arrivée de RiME sur consoles de salon et PC. Suivie par de nombreux titres à vocation plus modeste, mais tout aussi émouvants pour un joueur amené à se faire sa propre interprétation d'un synopsis tout en filigrane, cette tendance est donc adoptée par Tequila Works et on s'en accomode très bien d'entrée de jeu puisque ses intentions sont plutôt claires : l'affichage sera minimaliste au possible, se contentant de quelques quick time events (QTE) de temps à autre, et misant beaucoup sur sa musique pour transmettre le supplément émotionnel requis à des séquences comptant sur leur direction artistique originale pour faire mouche. Dans RiME, on va se déplacer à une vitesse raisonnable mais modérée (sans jamais pouvoir courir, ce qui agacera hélas assez vite, surtout qu'une roulade parfaitement inutile durant tout le jeu se substitue à cette fonction), effectuer de petits sauts, grimper un peu partout, nager et plonger, déplacer des objets massifs et soulever des orbes, le tout afin de progresser à travers une map implicite et modérément linéaire parsemée de nombreux aller-retour.

 

 

 

 

Dans l'ensemble, RiME est ce que l'on peut appeler un jeu d'action-aventure orienté prioritairement du côté des énigmes et dénué de toute forme de challenge : ce n'est pas ce que ses développeurs recherchent et tant mieux, car si la maniabilité du garçon sans nom que l'on dirige est très correcte, elle devient vite exaspérante dès lors que l'on a affaire à des caméras à moitié fixes et à l'orientation imposée pendant des phases scriptées où la jouabilité est tristement prise à défaut. Fort heureusement, c'est plutôt du côté de ses mécaniques d'exploration et de ses puzzles que RiME va se distinguer (notamment dans la deuxième partie de l'aventure), et vu qu'il s'agit clairement du cœur de l'œuvre, on ne va pas s'en plaindre. La création de Tequila Works donne très rapidement envie au joueur de faire le tour de l'étrange île que son équipe a créée, d'en résoudre les énigmes pour accéder à de nouvelles zones, et d'en débusquer les (nombreux) éléments cachés totalement dispensables à la progression – aucun d'entre eux ne confère le moindre bonus côté gameplay, le titre s'affranchissant notamment de toute forme de barre de vie, d'évolution du personnage ou de la moindre forme d'équipement. Ceci d'autant plus que ses premières minutes donnent le ton artistiquement, mettant en scène un jeune garçon sans nom et uniquement capable d'émettre des appels/cris ou un chant aussi timide que reposant, vêtu d'une cape rouge et qu'on n'aura évidemment, une nouvelle fois, de cesse de comparer à Ico ou au compagnon (également sans nom) de Trico dans The Last Guardian. Cette assimilation reviendra encore plus lorsqu'il devra, à plusieurs moments, échapper à une créature volante aussi impressionnante qu'agressive, ou en guider d'autres en transportant notamment un orbe lumineux aux teintes turquoise – ceci sans oublier l'influence évidente d'un Journey dans le rôle joué par de puissants rais lumineux et le mystère enveloppant une certaine quantité de PNJ encapuchonnés dégageant une sorte d'aura mystique. Enfin, on se sent rapidement investi d'une mission dont on veut découvrir la subtilité dès la première rencontre avec ce gentil renard initialement et naturellement craintif, dont notre héros parvient à se rapprocher, et qui lui indiquera grossièrement la direction à suivre du moment que vous repérez sa fourrure orange au milieu des couleurs chatoyantes du décor (ou identifiez la provenance de ses glapissements).

 

 

 

 

Sans être trop linéaire, grâce notamment à des environnements proposant un minimum d'alternatives et qui savent globalement bien s'enchaîner, RiME parvient à surprendre son monde une fois le premier acte terminé. C'est volontairement que je ne proposerai aucune capture d'écran de ce qui peut suivre afin de préserver un minimum de suspense à celles et ceux que cette critique convaincrait de se laisser tenter : sans aller jusqu'à prétendre que le jeu de Tequila Works brille par son audace et la qualité des surprises qu'il propose, sa propension à renouveler son environnement et une partie de ses idées de gameplay font franchement plaisir à voir. Après tout, il aurait très bien pu se contenter de sa patte graphique "arty" rappelant évidemment The Legend of Zelda: The Wind Waker dans sa réalisation d'une île et de créatures tout droit sorties d'un dessin animé, et se boucler en deux ou trois heures tel un Journey à qui il empruntera finalement d'autres facettes (pour ne pas dire que là aussi, il les plagie). Cela ne vous aura pas échappé, j'ai déjà évoqué pas mal de références et d'inspirations plus qu'évidentes dans lesquels l'équipe ibère a puisé, et c'est un peu cela le souci : RiME a un peu tout du pot-pourri artistique se fichant de proposer une jouabilité complexe, et ne sait pas toujours s'en démarquer là où cela serait nécessaire pour en faire un grand jeu marquant les esprits… un peu comme ont su le faire thatgamecompany, la Team Ico bien sûr, ou même Playdead – je cite ce dernier car sans dire pourquoi, il y a aussi du Limbo là-dedans, suggéré tantôt habilement, mais aussi parfois avec un manque criant de subtilité. Passé ce sentiment de déjà vu porté entre autres par une bande son aussi magnifique que combinant les clichés du genre (Austin Wintory aurait presque de quoi porter plainte pour plagiat par moments), l'ensemble a cependant l'immense mérite de se laisser très agréablement jouer. Pas hyper long mais clairement davantage que ce qu'on essaie de vous faire croire dans pas mal de reviews (et je vais vraiment finir par en rédiger un nouveau billet d'humeur tellement cela m'énerve de plus en plus), surtout si vous cherchez à dénicher les nombreux collectibles intelligemment répartis et planqués, RiME se situe néanmoins du bon côté de la frontière séparant les créations de ce type réussies de celles se foirant dans les grandes largeurs (coucou Submerged !).

 

 

 

 

Pourquoi, du coup, jouer au jeu de Tequila Works plutôt qu'à un autre, et se laisser entraîner par son univers mélancolique mais pas trop, sa jolie DA vue et revue, et sa maniabilité somme toute convenue voire agaçante par instants ? C'est un peu tout l'intérêt de cette critique : vous expliquer pourquoi RiME est un petit coup de cœur personnel, pas intemporel, mais suffisant pour justifier de lui accorder un article – ce que je n'avais initialement pas envisagé du tout avant de m'y mettre. Eh bien, c'est tout simple : pour un titre de son ambition, il remplit très bien son rôle, s'offrant de jolis moments de grâce pas trop surjoués, se laisse porter par une jolie BO et un sound design très crédible, ne bascule quasiment jamais dans la répétitivité et offre une belle variété de level design et de décors. Du coup, afin de mener au bout cette jolie histoire quasi muette et dont l'épilogue surprend autant qu'il donne envie de remettre le couvert, on se prend au jeu, le désir d'explorer vient naturellement, et les sept ou huit heures qu'il requiert (*), plutôt équitablement réparties entre chaque acte, passent avec une grande aisance. La jouabilité très agréable sans être révolutionnaire, le bon enchaînement des énigmes (jamais trop assistées ni vraiment tordues) et la propreté technique de l'ensemble, surtout sur la version "boostée" des consoles l'ayant initialement accueilli, n'y sont clairement pas étrangères.

 

(*) Sauf si bien sûr, vous voulez faire gober à votre lectorat qu'il se plie en quatre heures en vous référant à votre seule et unique expérience subjective de powerplayer incapable de prendre le temps d'apprécier ce genre de jeu.

 

Je ne saurais en effet que trop vous recommander d'y jouer sur PlayStation 4 Pro (ou sans doute Xbox One X : je ne l'ai pas testé sur ce support, mais je doute que la performance globale y soit inférieure !) si comme moi, les 60fps vous enchantent lorsqu'ils sont couplés à une direction artistique très "cartoon", même s'ils sont régulièrement mis à mal et qu'une bonne partie du jeu donne l'impression d'être jouée au framerate plus classique de 30fps, que la version de base tient globalement bien. Évitez par contre à tout prix la version Nintendo Switch comme la peste, tant sa finition est catastrophique : elle combine une résolution clairement inférieure au 720p natif en mode portable (???) et donc salement floue, et un taux d'images par seconde purement honteux qui n'arrive jamais à quelque chose s'approchant des 30fps requis pour un minimum de confort de jeu. Ce portage de la honte est donc parfaitement déconseillé sauf si vous souhaitez faire l'acquisition de son joli collector équipé d'un artbook, de la bande originale au format physique (merci !) et de la carte de l'île. Cette dernière n'existe que dans le cadre de cette réédition publiée six mois plus tard, et plus surprenant encore, est exclusive au marché espagnol. Un joli clin d'œil aux terres ayant vu naître RiME, ce dont on aurait apprécié, par exemple, qu'un éditeur comme Sony s'inspire en offrant à Detroit: Become Human une édition limitée aux joueurs français, par exemple.

 

 

 

 

Finissons par un petit point nécessaire sur les thématiques abordées par l'œuvre de Tequila Works. L'ensemble est plutôt énigmatique durant les deux premiers actes, et surtout l'introduction qui, clairement, a tout de l'exploration d'une île déserte par un garçon désorienté en quête de réponses – des interrogations qu'il transmet de fait plutôt bien au joueur, qui ressent forcément vite l'envie de comprendre avec lui ce qu'il en est. Par la suite, et suivant votre capacité à valider certains objectifs annexes (dont huit trous de serrure révélant des compléments importants au scénario), on réalisera que derrière toute cette poésie et cette prouesse artistique d'ensemble, c'est une histoire aussi jolie que triste qui nous est contée, et dont l'issue semble inéluctable si l'on souhaite obtenir la clé de l'ensemble. C'est probablement dans ce but que les designers du titre ont utilisé un trou de serrure immense au sommet du phare géant qui surplombe l'île, telle une métaphore de l'ouverture finale que l'on atteindra avec une grande mélancolie. À noter que si votre serviteur n'aura pas pu s'empêcher de voir un clin d'œil à The Legend of Zelda: Link's Awakening tout du long de l'aventure, au point de presque en espérer qu'un potentiel remake en prenne une apparence proche, le directeur créatif de RiME a cité de son côté des œuvres comme Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro ou encore Jason et les Argonautes comme références, sans s'attarder plus que cela sur les évidentes influences vidéoludiques. Reste qu'en dépit d'un possible petit souci d'identité et/ou d'originalité, son jeu étant brillamment conçu dans l'ensemble, touchant et marquant sans jamais trop en faire, on ne lui en voudra pas trop d'avoir multiplié les inspirations ou les hommages. RiME se parcourt simplement, sans avoir à se plaindre de grand-chose, et pour peu qu'il s'agisse d'une de vos premières expériences dans ce style, il y a de fortes chances que vous succombiez tant il représente agréablement son genre. Et puis comment ne pas craquer devant un renard aussi mignon, hein.

 

 

 

 

Tout n'est pas parfait dans RiME, loin de là. Manquant sans doute d'un petit plus sur l'ensemble des critères le séparant du chef-d'œuvre et ne confinant jamais au génie (ou alors, sur des points où d'autres ont excellé avant lui), il demeure cependant une aventure touchante, terriblement agréable et reposante à jouer, offrant une certaine variété et un rythme très correctement dosé. Mais surtout, et c'est ici que se situe sa force surprenante : sans inventer grand-chose et en affichant avec une évidence trop mal dissimulée ses illustres inspirations, il ne donne pas l'impression d'être ce jeu d'aventure à énigmes "à direction artistique" de trop. Vraiment joli, doté d'une certaine identité malgré tout, porté par les compositions vraiment chouettes de David García Díaz et une thématique sous-jacente convaincante une fois intégrée, et surtout très sympathique à jouer sans (presque) jamais rager sur quoi que ce soit, le titre de Tequila Works mérite le coup d'œil et pas juste pour le plaisir de se faire un titre sympathique et rapide. Il est même probable que vous ayez envie de le refaire sous l'angle d'une seconde lecture ou en poussant davantage l'exploration de ce joli univers franchement réussi et qui mérite clairement que l'on s'y attarde. Et au pire, si vous avez déjà donné dans la trilogie de la Team Ico ou dans un Journey, il est probable que vous en appréciez ce joli héritage.



J'ai adoré / aimé :

 

+ Mélange équilibré de tout un tas de styles similaires

+ Une prouesse artistique, il faut l'avouer

+ Globalement fluide… sur PS4 Pro en tout cas

+ Pas vraiment de bugs ou de soucis techniques, c'est très propre

+ Très jolie bande originale, bien que pas si… originale, justement

+ Maniabilité franchement très correcte et claire

+ Une bonne progression et de bonnes énigmes, jamais trop assistées

+ Quêtes de collectibles cohérentes et sympathiques

+ Une histoire qui se laisse bien vivre et appréhender

+ La fin qui donne un second regard et favorise la replay value

+ Ambiance bien intégrée qui donne envie d'en savoir plus

+ Peu de prise de tête et de prétention, émotions pas trop forcées…

 


J'ai détesté / pas aimé :

 

– … au point de ne pas être plus touché(e) ou marqué(e) que ça

– Tout ceci manque un peu d'identité tant les inspirations sont visibles

– Il aurait été de bon ton de virer cette roulade totalement inutile

– La caméra, subitement débile et pénible sur les plans fixes et/ou scriptés

– Le framerate est quand même régulièrement mis à mal

– La version Nintendo Switch, non mais de qui se moque-t-on ?

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