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Red Dead Redemption II – Hors des lois pour toujours

Des pavés dans la mer

16 novembre 2018

Vous souvenez-vous de ce que vous faisiez le 20 octobre 2016 vers 16 heures ? La date ne vous parle peut-être pas, mais du côté du microcosme vidéoludique, cette seconde partie d'après-midi (côté européen) avait des allures de mini E3 en enchaînant deux courts trailers aux antipodes l'un de l'autre, mais terriblement attendus chacun de leur côté : d'abord, la révélation, enfin, de ce qu'allait être le projet "NX" de Nintendo – enfin officiellement baptisé Switch – et ensuite, ce qui nous intéresse ici, la première bande-annonce officielle de Red Dead Redemption II dégainée par Rockstar Games après deux micro teasings ayant enflammé la toile comme jamais… en autant de simples tweets. Il était en effet grand temps que le célèbre développeur des Grand Theft Auto propose quelque chose d'exclusif à cette nouvelle génération de consoles allant déjà sur ses trois ans, même si capitaliser sur "GTA V" avait tout de la source de revenus inépuisable et sécurisée. Faisant suite à un des titres cultes et unanimement salués de la génération "PS360", dont il demeura une des très rares exclusivités console par ailleurs, celui que l'on renommera très rapidement "Red Dead 2" – comme si Red Dead Revolver n'avait jamais existé – devenait immédiatement le jeu vidéo le plus attendu de l'année à venir en compagnie de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, à venir de son côté sur une machine faussement concurrente. Ceci avant d'être reporté d'un an, ce dont personne n'allait se plaindre… on n'était plus à ça près ! En outre, au vu de leurs productions passées, on ne pouvait qu'attendre des maîtres de l'open world qu'ils nous offrent une fresque épique d'un western numérique plus vivant et crédible que jamais, porté par une écriture largement au-dessus de la moyenne comme dans leurs habitudes… à une ère où le modèle de monde ouvert "à la Rockstar" est remis en cause comme jamais il ne l'a été par le passé.



Note sur les conditions de jeu :

 

Mon expérience de Red Dead Redemption II s'est intégralement déroulée sur un exemplaire physique acheté dans le commerce (ce qui fut l'occasion d'une expérience de journalisme de terrain fascinante), et joué sur une PlayStation 4 Pro d'août 2018 (la fameuse "500 Million") tout en jetant un œil de temps en temps à une partie en parallèle sur PS4 Slim, toutes deux sur des écrans HD classiques : c'est cependant surtout de la version "Pro" (mais pas en vraie-fausse 4K HDR) dont je parlerai ici. J'ai par ailleurs attendu de terminer "tranquillement" le jeu bien au-delà de la soluce rédigée sur jeuxvideo.com, en m'occupant également de tout un tas d'activités annexes, pour livrer la critique la plus complète possible du mode solo (le mode en ligne n'étant toujours pas disponible à l'heure de la rédaction de cet article, pas même sa beta !). Pour vous situer, j'ai franchi la barre des 90% de complétion dans le suivi de progression et estime avoir largement franchi la centaine d'heures (faute de compteur d'heures sur la version PS4) sur le titre de Rockstar. Enfin, les captures d'écran ont bien entendu toutes été effectuées par mes soins, en essayant de contourner au mieux l'absence de mode photo (et je me suis efforcé de me limiter à certaines zones afin de ne pas spoiler certaines surprises).

 

 

 

 

We R* Family

 

 

Red Dead Redemption II est enfin là. Là où les joueurs PC avaient espéré pendant de longues années voir la "simulation de cow-boy" de Rockstar enfin débarquer sur une plate-forme lui étant pourtant historiquement associée, et ou celles et ceux ayant loupé le train en marche à l'époque rêvaient d'un remaster (ou portage) sur PlayStation 4 et Xbox One comme Grand Theft Auto V y eut presque immédiatement droit, suivi par L.A. Noire, d'autres rêvaient secrètement d'un autre Red Dead, bien que le contexte global du premier opus n'autorisait que peu d'espoir quant à une suite chronologiquement parlant. Sans divulguer le dénouement de Red Dead Redemption aux quelques rares cas isolés n'y ayant encore jamais joué (ou ne se l'étant pas fait spoiler vu le mème qu'est devenu son épilogue…), aucune suite directe n'était envisageable et un potentiel "Red Dead 2" n'aurait eu de sens que sous forme d'une préquelle. C'est le choix logique pour lequel a opté Rockstar en laissant supposer, dès le premier visuel précédant son trailer, une histoire non plus focalisée sur un seul personnage (John Marston) mais probablement sur plusieurs, à savoir la bande de Dutch van der Linde dont le protagoniste du premier opus était originellement issu avant de devoir en traquer les derniers membres encore actifs. Allait-on expérimenter de nouveau le concept de "GTA V" et de ses trois personnages jouables sans distinction d'importance ? Très avare en informations dans les deux ans qui ont séparé la révélation de "RDR2" de sa publication (puisqu'il fut reporté d'une année entière, rappelons-le), et bien davantage qu'autour de sa précédente production, Rockstar Games a choisi d'entourer son jeu d'un quasi silence permanent, tout juste entrecoupé d'une courte vidéo une fois tous les six mois au mieux… jusqu'à presque inquiéter à quelques semaines du terme, faute d'informations concrètes sur le gameplay du titre, et notamment sur un mode en ligne sur lequel on ne sait par ailleurs toujours rien à l'heure où j'écris cet article. Décidément, là encore, il n’y a que "R*" pour faire ça (tiens donc, annoncerais-je déjà une des composantes essentielles de ma review ? vous me connaissez vraiment trop bien…).

 

 

En dévoilant encore plus au compte-gouttes que dans ses habitudes des bribes d'information sur Red Dead Redemption II, le studio le plus redouté de l'industrie du jeu vidéo se laissait désirer, mais une légère inquiétude commençait mine de rien à poindre le bout de son nez chez de nombreux joueurs peut-être moins désireux que d'ordinaire de tout accepter de Rockstar sur la simple base de son nom. Nous demeurons en effet un paquet à avoir très modérément goûté à la promesse non tenue du contenu solo additionnel du dernier Grand Theft Auto, sacrifié sur l'autel d'un multijoueur devenu poule aux œufs d'or bien trop évidente à exploiter à l'excès. Certes, dans la dernière ligne droite, le studio commençait alors à présenter les personnages principaux de sa nouvelle histoire, dans un style bien à lui, comme pour rappeler d'abord sa maîtrise de l'écriture et du character design, mais aussi témoigner d'une grande confiance en lui. C'est un fait, pour Rockstar, même s'il ne s'agit pas d'un potentiel "GTA VI" qui n'aurait besoin que de son titre pour se vendre même sans rien en savoir (j'exagère à peine…), le nom de Red Dead Redemption se suffit à lui-même, car témoignant d'une grande expertise de développement de jeu vidéo sous toutes ses coutures. Et que dire de la promesse d'un titre ayant réuni toutes les équipes de ce géant du milieu s'étant illustrées à travers les générations, comme si tout le microcosme Rockstar s'était uni telle une grande famille pour proposer ce qui s'annonçait pompeusement comme une des plus grandes productions de l'histoire du jeu vidéo.

 

 

 

 

La famille, c'est d'ailleurs un peu ce dont il est supposé être question dans ce jeu à la fois si attendu et si craint. Avec ce deuxième épisode revenant aux origines de John Marston et de la bande dont il faisait partie, Rockstar choisit de bouleverser radicalement l'approche que le joueur aura de son univers. Là où le cow-boy mythique du premier "RDR" œuvrait souvent seul, livré à lui-même, malgré quelques coups de main providentiels fort bienvenus, la "suite" de ce titre au succès d'estime mémorable opte pour un traitement totalement différent, basé sur le groupe. Plus de "poor lonesome cowboy" en vue, mais plutôt tout un gang aux nombreuses personnalités introduites plus ou moins sur un pied d'égalité, aux allures un petit peu de Sons of Anarchy pour la référence (excusez du peu), au point de prendre le risque de proposer un protagoniste jouable d'apparence moins charismatique et intéressant que John Marston, personnage de jeu vidéo ayant très clairement mérité sa place au panthéon du genre. Nous avons désormais affaire à Arthur Morgan, fidèle parmi les fidèles aux côtés d'un Dutch le considérant comme un de ses fils – et pas loin d'être son favori. Pas spécialement doté d'une "gueule" ou d'une voix comme celle éraillée et légendaire de John, présenté comme très personnalisable au point de ne pas ressentir en lui une identité propre qui ressorte d'emblée et en fasse une icône, Arthur est vite assimilé comme un "bras droit", un homme de main, là pour sa cause, dont l'aspect secondaire a de plus tout d'une évidence lorsque l'on sait qu'il ne fait pas partie du casting du "RDR" original. Sans aller jusqu'à prétendre que Rockstar nous proposait une expérience aux commandes d'un personnage bien moins fascinant que dans ses illustres habitudes, là aussi, il y avait un peu de quoi s'inquiéter, surtout qu'on n'oubliera pas à quel point Michael et Franklin, par exemple, étaient très inférieurs en terme de personnalité et d'écriture à leurs "ancêtres" CJ et Niko Bellic. Oui, je suis vraiment en train de vous faire part d'a priori mitigés et d'une relative anxiété quant au titre que j'attendais le plus depuis que The Legend of Zelda: Breath of the Wild est sorti, parce que malgré sa relative excellence, "GTA V" m'a laissé sur ma faim là où son prédécesseur m'a marqué à vie – je vous renvoie à ma critique très particulière de Grand Theft Auto IV à ce sujet – et plein de petits détails me perturbaient à gauche à droite. Pourtant, souvent, les jeux suscitant une attente fébrile chez moi, surtout au point de finir par m'inquiéter, finissaient par vite me rassurer et s'avérer à la hauteur de mes attentes (parfois démesurées) : non, après tout, Red Dead Redemption II ne pouvait pas échouer à conquérir mon cœur de joueur de plus en plus exigeant. J'avais beaucoup trop adoré le premier, dont l'épilogue m'avait arraché des larmes, et Rockstar était quand même le seul studio à m'offrir depuis dix ans des claques mémorables, "GTA V" demeurant, malgré la frustration l'entourant, un des meilleurs titres auxquels il m'avait été donné de jouer sur ces dix dernières années.

 

 

 

 

Slow and Serious

 

 

Lorsque vient l'heure d'enfin démarrer Red Dead Redemption II, après une ultime heure (et demie, potentiellement) d'installation interminable comme pour nous faire languir encore un peu même une fois le précieux sésame en main, une partie des doutes se dissipe dans l'épais blizzard dominant une séquence d'intro clairement inspirée de The Hateful Eight, le dernier long métrage en date signé Quentin Tarantino. Au-delà d'une référence supplémentaire au septième art dans la longue carrière de Rockstar à ce sujet (citons en vrac Scarface, la "Dollars Trilogy", L.A. Confidential, Man on Fire ou encore Heat parmi les innombrables possibilités), c'est surtout un aspect cinématographique très poussé que le studio cherche à mettre en place d'emblée. En digne héritier des triples A modernes (et surtout du côté des exclusivités Sony) ayant succédé à The Last of Us, ce nouveau Red Dead la joue tout en contemplation, posant un rythme très lent il est vrai justifié par une chevauchée dans une neige épaisse qui ne peut être comparée à celles des vastes plaines désertiques de New Austin arpentées dans le premier épisode. Cependant, il choisit aussi d'assumer son parti pris de réalisation en proposant immédiatement de "switcher" pour une vue cinématique durant les déplacements à cheval, où l'affichage adopte le format letterbox comme dans l'intégralité des cut-scenes du jeu – et je peux vous le dire, il y en aura beaucoup, même si ça ne surprendra personne. Beyond: Two Souls et The Order: 1886, voire The Evil Within, sont passés par là depuis : ceux que l'on aime surnommer "R*" ont pris bonne note de l'intégration d'un affichage type CinemaScope dans le jeu vidéo, et l'adaptent à leur façon, pour la première fois en vingt ans de métier malgré des titres à la réalisation toujours très inspirée du cinéma. Il en résulte cependant un effet bluffant donnant beaucoup plus l'impression de suivre une histoire et d'y participer que dans beaucoup de jeux vidéo ayant cette prétention, sentiment qui perdurera tout du long et ne se limitera pas à cet opening glacial et fortement éprouvant. En effet, dans son genre, le premier quart d'heure de "Red Dead 2" est une sacrée belle claque, glaçante et marquante, qui nous permet aussi pour la première fois depuis cinq ans de redécouvrir une maniabilité "à la Rockstar", parfaitement optimale dans de telles conditions climatiques, mais que l'on a quand même hâte de mettre à l'épreuve par la suite.

 

 

 

 

Seulement voilà ; passées les premières heures de jeu tout au long d'un premier chapitre aux allures aussi évidentes que logiques de tutoriel grandeur nature, on espère non seulement sortir de la torpeur des hautes montagnes et de cette fichue neige qui nous empêche de vraiment nous déplacer à notre guise. Tout juste apprécie-t-on (… ou non) les premiers gunfights toujours spectaculaires et immersifs, mais manquant eux aussi de dynamisme, comme si les mécanismes n'avaient pas évolué depuis huit ans. Certes, Arthur Morgan n'est pas un gringalet, et à l'instar du Max Payne bedonnant de ses  dernières aventures en date, son inertie est étudiée pour nous faire ressentir sa force de l'âge, son poids ainsi que celui du matériel qu'il transporte ; sans être d'une grande finesse dans ses déplacements et ses séquences de tir, Grand Theft Auto V était quand même plus vif, alors que sorti une demi-décennie en arrière déjà, il faut le rappeler. Au bout de quelques heures seulement, et encore plus une fois sorti des montagnes pour de plus verdoyantes contrées où les déplacements se fluidifient davantage, on pourra définitivement se faire un avis sur la finition au niveau de tout ce qui touche aux déplacements de notre personnage, de ses grandes chevauchées (qu'on espère) épiques à ses fusillades les plus coriaces, en passant par son système de couverture – et pourquoi pas d'infiltration – et ses déplacements plus peinards en mode exploration. C'est ici qu'entre en jeu l'appréciation que l'on se fera du parti pris audacieux de Rockstar, que certain(e)s fustigent déjà sans y voir l'ombre d'un choix délibéré de conception en préférant pointer du doigt l'absence d'efforts et de mise au goût du jour d'un géant du jeu vidéo resté à une autre époque. Parce que oui, s'il est absolument indéniable que la lenteur et la lourdeur générales constatées d'emblée, et qui persisteront tout au long des dizaines d'heures que propose Red Dead Redemption II (dans les canons de son développeur donc), existent bel et bien et ne peuvent être passées sous silence, il serait regrettable de se contenter de les attaquer sans chercher à les analyser.

 

 

 

 

The Walking Dead Redemption

 

 

Oui, c'est un fait, le nouveau "Red Dead" est lent. Ce n'est même pas la peine d'espérer que les choses bougent au fil des heures, il l'est et le restera, jusqu'au bout. Pas la peine d'essayer de cacher cela sous le tapis ou de le nier, Red Dead Redemption II est une lente procession, souvent contemplative, quand elle n'est pas carrément dirigiste. À travers un scénario principal s'étalant sur une centaine de missions (certaines très courtes, d'autres vraiment longues) qui occuperont aisément une cinquantaine d'heures, sans parler de leur rejouabilité pour en réussir les défis associés et décrocher les médailles d'or (un concept un peu "arcade" qui passait mieux dans à "GTA V", de mon point de vue), la nouvelle production signée Rockstar Games est là pour nous raconter une histoire… et ce en ayant pas mal appris de ces jeux au rythme plus humain exploitant la narration comme mécanique de gameplay. Quand "GTA V" était sorti, The Last of Us n'avait que trois mois et ne pouvait évidemment encore servir d'influence à un titre sur le point de passer gold. Mais même si, de l'aveu des frères Houser, la suite de leur formidable western numérique était déjà en chantier à l'époque, il est très probable que la direction prise par bon nombre de jeux d'action-aventure depuis une demi-décennie ait joué sur une grosse partie de son développement. D'abord parce que l'univers des cow-boys, couplé au talent inné d'écriture du studio, exige une réalisation et une jouabilité immersives et réalistes, surtout au sein d'une génération de machines faisant de plus en plus le lien avec le septième art. Mais aussi et surtout parce que le scénario de ce "Red Dead 2", couplé aux nombreux personnages hauts en couleur qui le composent, exige une grande crédibilité pour faire passer Rockstar dans une nouvelle ère : les mécaniques d'un Grand Theft Auto, régulièrement pointées du doigt car datées, demeurent amusantes et dynamiques ; or, elles sont juste souvent imprécises et brouillonnes. Red Dead Redemption II, lui, ne veut pas déconner, il est là pour devenir bien plus que l'héritier d'un titre unanimement salué par la critique et les joueurs : il veut être un "GOTY" qui marque son année voire sa génération, comme son prédécesseur. Quoi de mieux dans ce but que sublimer un aspect cinématographique que jamais Rockstar n'a eu la possibilité de maîtriser et mettre en avant de la sorte ? Le réalisme est ici, aux yeux du studio, la clé de la réussite, et un pari terriblement risqué tant il a de quoi se mettre les joueurs à dos vis-à-vis de tout un aspect de sa création, et donner l'impression de se payer leur tête.

 

 

 

 

Bon, après, on ne va pas faire comme si on ne connaissait pas Rockstar : on a l'habitude qu'ils se foutent du joueur, en le plaçant régulièrement au cœur de leurs critiques et moqueries, à travers un bris du quatrième mur aussi agressif que malin qui ne frappera, la plupart de temps, que très rarement celles et ceux qu'ils visent. Pourtant, avec "RDR2", ce n'est pas forcément le joueur que "R*" singe tout au long de sa trame principale longue, lente et terriblement dirigiste, mais peut-être une industrie tout entière, cédant de plus en plus à la facilité de missions scriptées, choisissant de transcender une forme de plus en plus fascinante au détriment d'une jouabilité trop souvent réduite à la portion congrue. Sans prétendre que l'intégralité des mécaniques du scénario principal (qui est de toute façon passionnant, et j'y reviendrai plus tard) sert ici une critique globale de ce que sont devenus les fameux "triple A", il demeure fort suspect qu'un studio aussi rebelle que Rockstar s'y soit conformé avec tant d'aisance, lui qui ne veut rien faire comme tout le monde et a continué de le prouver avec sa communication toujours aussi imprévisible. Fort heureusement, en-dehors de cette évolution surprenante laissant supposer que les jeux estampillés "R*" commencent à stagner, le reste du jeu envoie bouler bon nombre de conventions modernes… pour le meilleur et pour le pire. S'il se plante en beauté, par exemple, sur un mapping des touches que l'on a envie de qualifier d'erratique et qui brise une partie de l'immersion et de la logique que l'on tente d'acquérir (mais qui finit par venir au fil des heures, pour peu qu'on insiste et s'accroche), sa vision du monde ouvert lui demeure propre, et semble complètement faire fi de plusieurs années d'open worlds en tous genres influencés, notamment, par The Elder Scrolls V: Skyrim bien sûr (postérieur au premier "RDR", mais de près de deux ans l'aîné de "GTA V" quand même !), mais aussi The Witcher III: Wild Hunt ou même le dernier Zelda que personne n'imaginait secouer le monde du jeu vidéo de la sorte. Dans Red Dead Redemption II, point de système d'expérience et de niveaux (mis à part à la rigueur pour les jauges de santé, d'énergie et de sang-froid, mais cela demeure assez anecdotique), pas davantage d'acquisition de points de compétence à dépenser dans un arbre du même nom… et surtout, dès que l'on sort de sa trame de base volontairement assistée et linéaire (une fois en mission, entendons-nous bien), un choix libre bien réel de mener notre existence comme bon nous semble et de la jouer roleplay largement plus que tous ses "concurrents" étiquetés "action-RPG" à la hâte.

 

 

 

 

En choisissant de ne pas s'encombrer de critères devenus quasi obligatoires pour un pseudo action-RPG moderne, Red Dead Redemption II en est en fait presque davantage un que les titres croyant offrir une liberté de rôle en laissant beaucoup au joueur la possibilité de créer sa propre aventure, même s'il y a un scénario principal à suivre. Hormis lors de quelques enchaînements automatiques de missions principales, le terrain de jeu absolument immense à visiter est disponible à tout moment et sans parois artificielles, et il est parfaitement envisageable d'y errer des heures durant en oubliant la réalité d'une fuite des autorités en groupe. Ici, Rockstar mélange en quelque sorte le concept de jeu porté par sa narration, au rythme lent, à travers des séquences d’action et missions linéaires éparpillées, à celui du monde ouvert beaucoup plus fascinant niveau gameplay dès que l’on s’écarte d’une trame principale terriblement dirigiste qui se conforme, elle, énormément aux standards modernes type "simulateur de marche" à ce niveau. Le paradoxe assez marqué entre les missions principales dirigistes et scriptées, remplies de marqueurs de quête et autres balises auxquelles obéir aveuglément est tristement requis, et la non-assistance totale du monde ouvert quasi vierge de tout indicateur, ne fait en aucun cas de "Red Dead 2" un titre déséquilibré et incohérent : il y a presque deux jeux en un, l'une des facettes expliquant combien la vie dans le Grand Ouest américain de cette fin de XIXè siècle est longue, lente et chiante, l'autre rappelant que la nature (et l'environnement en général) était bien plus sauvage et incitait bien davantage à une liberté quasi totale en ces temps déjà si lointains. Ceci bien sûr, à condition de respecter quand même quelques règles si l'on veut éviter de trépasser prématurément : certes, il y a un peu plus d'un siècle, il était plus simple de mener une vie de hors-la-loi reclus en marge de la société, mais on risquait de crever bien plus vite et plus bêtement, faute de vivres et de soins adaptés facile d'accès pour tou(te)s. Et encore, il nous est régulièrement rappelé que l'on vit la fin d'une ère en quelque sorte, via cette bien drôle de période de transition entre apologie du banditisme et émergence d'une société plus civilisée et industrialisée – et cristallisant toutes les peurs de notre bande de malfrats de plus en plus déchirée à l'aube de ce nouveau siècle dont on ne pouvait alors imaginer qu'il accoucherait, au fil des décennies, d'engins volants plus ou moins dangereux, de la bombe à neutrons, ou encore du lecteur de cassette portatif et du Philips CD-I. Un souci d'authenticité historique bien réel collant au (trop-plein de ?) réalisme ambiant, jusqu'à l'excès, parce que Rockstar n'a jamais su faire dans la demi-mesure, et clairement, malgré les années qui passent, ne changera jamais à ce niveau.

 

 

 

 

Sprechen Sie Dutch?

 

 

Si je suis loin d'en avoir fini avec les mécaniques (prétendument ?) rouillées de gameplay de ce titre, je souhaite profiter de l'évocation de son contexte spatio-temporel, et du grand soin qui fut apporté à sa reconstitution, pour plonger un peu cette critique dans l'analyse de fond, que j'admets avoir espéré rendre la plus élogieuse possible avant même de démarrer le jeu. C'est un fait, Rockstar Games est un de ces trois créateurs de jeux vidéo qui remet le plus mon objectivité en cause, bien qu'il ne puisse jamais écorner mon impartialité (ce qui est le plus important, et si vous ne faites pas la différence entre les deux, sachez qu'il y en a une et qu'elle est très importante !). Immense fan de l'ensemble de leurs productions "matures" sur ces quinze dernières années, exception faite des Bully qui manquent cruellement à ma culture de joueur, j'ai toujours considéré que les jeux de "R*" compensaient une jouabilité certes agréable et complète mais souvent datée par une écriture largement au-dessus de la moyenne, pour ne pas dire hors du commun. Je ne ferai pas encore une fois l'éloge des synopsis de "GTA IV" et de Max Payne 3 avec lesquels je vous ai largement bassiné(e)s plus que de raison, et rappellerai juste, puisque je ne l'ai jamais "reviewé" en ces lieux, que Red Dead Redemption premier du nom m'avait également laissé une trace impérissable pour son époque, au point de ne jamais y avoir rejoué depuis sept ans –  sauf vite fait de temps en temps, pour me replonger dans son atmosphère si prenante… quand je n'en écoutais pas la bande originale, une des plus mémorables de son époque une nouvelle fois. Cette rejouabilité m'a notamment permis de constater à quel point sa "superior version" se situe au travers de la rétrocompatibilité Xbox One, encore plus sur la "X". Bref, dans cette étrange "suite-préquelle", Dan Houser (qui n'est pas seul aux commandes ici) souhaite cependant dépeindre quelque chose de radicalement différent. Ce sera l'histoire d'une bande de hors-la-loi qui nous sera narrée, de façon beaucoup plus immersive et cinématique que dans un premier opus mettant en relief la solitude d'un John Marston empli de vengeance… et en même temps, tenu à moitié en laisse par la Pinkerton, cette espèce de FBI du Far West. En incarnant Arthur Morgan, dont j'ai déjà souligné l'aspect très "second rôle" en amont, on se sent investi davantage d'une mission collective – celle de fuir les autorités suite à un casse ayant très mal tourné à Blackwater, régulièrement évoqué en pointillés par les différents membres du gang – que concerné par une aventure personnelle en premier lieu, et c'est ici que la dimension libertaire de Red Dead Redemption II trouve tout son sens.

 

 

Si j'évoquais l'aspect roleplay bien ancré de "RDR2" un peu plus haut, ce n'est pas pour rien : si terminer le jeu exige de suivre une trame scénaristique aussi passionnante que dirigiste, ce qui prendra donc des dizaines d'heures dont facilement un gros quart d'entre elles à cavaler à travers une map démesurée (autant le dire, hein… là encore, le dissimuler serait quelque peu partial), il offre en marge une richesse particulièrement surréaliste qui ne se laisse palper que par celles et ceux qui choisiront d'émanciper Arthur du gang de Dutch. Si tout ce que vous ferez à côté vous permettra d'accumuler des ressources et de précieux dollars (rarement par quantités élevées, soit dit en passant) qu'il sera recommandé d'investir dans le camp de la bande pour améliorer bon nombre d'éléments et notamment débloquer l'ersatz de seul et unique fast travel du jeu, le choix vous sera toujours laissé de disposer comme vous le souhaitez de votre temps libre. À ce niveau, je ne parle pas des activités secondaires réalisables avec les membres de votre camp (pratiquement la seule zone du jeu où les armes sont systématiquement inutilisables et où, surtout, il faut bien l'admettre, l'impossibilité de courir est aussi pénible qu'injustifiée), comme jouer aux dominos, au poker ou au jeu du couteau, partir à la chasse ou à la pêche, aller voler du bétail ou braquer une diligence… non, je pense à l'histoire d'Arthur que nous écrivons, nous, joueur. Celle qui nous amène à visiter de fond en comble une carte dont on a l'impression qu'on ne verra jamais les extrémités, en étudier (voire abattre et dépecer) la faune et la flore incroyablement diverses, pêcher des dizaines d'espèces de poissons de tous formats, y croiser des dizaines (que dis-je, centaines) de PNJ plus ou moins recommandables et loufoques, aux destinées et missives d'une variété presque inépuisable, sublimant comme jamais le concept de rencontres d'inconnus si cher aux sandboxes de Rockstar… ou encore visiter des lieux étranges, peuplés ou non, fouiller à peu près n'importe quelle cabane ou habitation pour voler un butin misérable de trois dollars et quatorze cents, une boîte de petits pois en conserve et un flacon de whisky de contrebande entamé. Lorsque l'appel de la nature se fait sentir et que vous sortez des sentiers battus, il n'est pas impossible que vous en oubliez les activités essentielles à l'accomplissement de votre quête en attente d'action de votre part, surtout que l'absence de moyens de communication instantanés à distance vous prive de toute forme de rappel – ce qui nous prive, pour notre plus grand bonheur, de toute intrusion de nos compagnons dans notre vie "en-dehors du gang", contrairement aux derniers "GTA". En cela, Red Dead Redemption II nous laisse la liberté de vivre une autre histoire, celle que l'on a envie d'expérimenter dans la peau d'Arthur, à la première personne même si on le souhaite pour encore plus d'immersion, avec d'innombrables possibilités de relooking en ce qui concerne sa garde-robe, ou même sa coiffure et sa pilosité faciale. Le personnage joué, à l'évolution par ailleurs fascinante au fil des chapitres, se laisse de fait approprier par le joueur sur de nombreux points, et transgresse allègrement les limites imposées par une histoire qui le sublime bien davantage qu'on n'aurait pu y croire en premier lieu.

 

 

 

 

Faut-il pour autant en déduire que, face à une liberté aussi forte, la trame principale doit en pâtir ? Après tout, j'ai déjà évoqué son côté très rigide, quasiment autant sur un rail dont il est autant impossible de dévier que les trains que l'on pourra dévaliser, mais jamais faire dérailler. S'il est parfaitement insupportable d'être pris par la main jusqu'à nous interdire de choisir le chemin que l'on voudra emprunter pour se rendre d'un point A à un point B, on peut à la rigueur concéder à Rockstar la volonté d'imposer le rôle d'Arthur côté scénario : celui d'un homme de main qui, bien que défiant de plus en plus le patriarche charismatique qu'est Dutch, navigue dans le même bateau que ce dernier. Si le studio nous force autant la main pour ce qui est de suivre son scénario "officiel" et le vivre avec une précision cinématique tapant autant dans la linéarité imposée que dans la beauté de la mise en scène et la subtilité de sa narration, c'est aussi parce que l'histoire de "Red Dead 2" est passionnante. Comme je n'en spoilerai évidemment aucun élément, même mineur, vous devrez vous contenter de cette appréciation toute personnelle mais que je pense malgré tout demeure à peu près objective : de son introduction coup de poing et mémorable à sa conclusion inouïe de réalisme, il est assez difficile de relever des fausses notes dans la partition récitée par les créateurs de "GTA". Pourtant, le parti pris d'une histoire située douze ans avant celle du premier épisode, un choix qui déstabiliserait même Hideo Kojima, a de quoi poser problème à bon nombre de joueurs. Nous sommes des millions à avoir joué à Red Dead Redemption, et ce n'est pas spécialement savoir comment ce dernier se termine qui peut nous donner l'impression que l'on saura également quel sera le dénouement de cet épisode au "II" pour le moins discutable, partant de ce point de vue ; non, c'est surtout le fait que nous savons forcément quels personnages ne trépasseront évidemment pas, et on s'inquiètera bien davantage de la destinée de ceux que jamais le premier "RDR" n'évoque une fois de tout son scénario, parce que l'on devine d'avance que Rockstar les fera disparaître d'une façon ou d'une autre… son personnage joué en tête. De fait, la conclusion de ce vrai-faux second volet semble inéluctable d'entrée de jeu, au point de se dire que vu que l'on fait sans doute tout cela pour rien, autant savoir qu'est-ce qui va nous conduire aux événements du titre sorti huit ans plus tôt… et situé douze ans plus tard.

 

 

C'est en partie pour cette raison, sans doute, que la trame de base narrée par les fines plumes de "R*" se montre peu permissive, au-delà de la volonté fort probable des développeurs et autres réalisateurs de témoigner d'une maîtrise du jeu vidéo moderne porté par sa narration (car ça, à force de vous le répéter, vous aurez compris que c'est réussi). On veut nous faire suivre notre boss partout où il va, traîner avec ses autres sbires hauts en couleur, créer des affinités parfaitement personnelles avec les uns ou les autres – sans incidence malheureusement sur leur exploitation, contrairement à Grand Theft Auto IV qui s'était illustré à ce niveau – et vivre avec une proximité parfois dérangeante l'évolution de ce groupe et de surtout celle de son leader. Dutch van der Linde est en effet un chef de bande fascinant de crédibilité et doté d'une personnalité rare : mi-dandy mi-bandit, doté d'une certaine éloquence et d'une formidable capacité à s'insérer avec opportunisme dans une société qu'il exècre, il concrétise sans peine toutes les promesses le concernant… comme une bonne partie des protagonistes. On se réjouit bien sûr de retrouver Bill Williamson et Javier Escuella, deux têtes bien connues des fans de la première heure, mais aussi la petite famille Martson composée de John, Abigail et leur fils Jack (qui n'est pour le coup à peine plus qu'un marmot) aux relations tumultueuses. À cette partie déjà connue du tableau s'ajoute une ribambelle d'autres noms que l'on vous laissera le soin de découvrir, aux destinées tantôt comiques, tantôt tragiques, mais pour la plupart vraiment marquantes – mention spéciale à un personnage féminin d'une justesse et d'une authenticité sidérantes, sans doute le meilleur jamais conçu par Rockstar, dont beaucoup de joueurs semblent déjà rêver d'une exploitation dans un stand-alone ou un DLC. Cette galerie de portraits très hétérogène et particulièrement marquante sert en grande partie une histoire principale qui, si elle peinera à convaincre plus d'un joueur sur son rythme et sa linéarité, n'aura pas de difficulté à séduire quiconque s'accrochera à ce scénario qui tarde à livrer tous ses secrets et à exploser, mais le fera une fois de plus avec une maîtrise redoutable comme on n'osait plus l'espérer.

 

 

 

 

Red Dead Pretention

 

 

A-t-on déjà vu un jeu Rockstar court et direct, ne s'étendant pas en présentations, en bavardages et allant droit au but sans détour ? Pas vraiment. Red Dead Redemption II ne déroge pas à la règle et traîne clairement en longueur, même bien au-delà d'une introduction dont on accepte la mollesse légitimée par un hiver rigoureux et un environnement enneigé en proie à un épais blizzard. Son second chapitre symbolise un petit peu à quel point l'éditeur-développeur se croit tout permis en négligeant une fois de plus beaucoup de fondamentaux, et joue un rôle assez perturbant de tutoriel prolongé expliquant absolument tous les rudiments d'un gameplay que l'on pressent sans limites, même si c'est à partir de là que l'on peut enfin se dégourdir les jambes à volonté, et arpenter les quatre États gigantesques d'une map que l'on devine alors quatre à cinq fois supérieure à celle du premier volet. En commençant à donner plus de corps aux membres de la bande de Dutch, s'affirmant individuellement et prenant des initiatives pour varier les missions aux côtés d'Arthur, le scénario de "RDR2" prend bien le temps de mûrir aux côtés de ses protagonistes, nous entraînant à leurs côtés dans une spirale dont on peine à deviner l'orientation bien qu'on pense en prévoir l'issue. Et une fois rentré dans une série d'événements le rendant subitement bien plus accrocheur, pour ne pas dire irrésistible, le titre de Rockstar se laisse savourer autant qu'il se vit et se subit, à son rythme de sénateur, entrecoupé d'innombrables moments de grâce dont ses créateurs ont le secret. Et puis après tout, la célèbre "trilogie du dollar" de Sergio Leone étant aussi mythique qu'abusivement longue et lente, il ne serait pas surprenant que Rockstar ait suivi ce modèle, toujours soucieux d’être très cinématographique dans sa vision du jeu vidéo. Puisque l'on parle références au western, on appréciera d'ailleurs de ne pas sombrer dans trop de clichés à ce niveau, avec des influences et une imagerie globale différentes de ce qu’on aurait pu anticiper, notamment du fait des zones géographiques représentées… mais aussi de nouvelles références du genre passées par là depuis, du côté de Quentin Tarantino donc : Django Unchained et The Hateful Eight constituent des clins d’œil récurrents et évidents à certains moments de l'histoire.

 

 

Red Dead Redemption II est magnifiquement écrit, à des années-lumières du quasi décevant "GTA V" un peu trop crétin et manquant cruellement de relief, et surtout, il le sait et l'assume. Cependant, toute cette démesure n'aurait pas tant de sens si elle ne s'inscrivait pas dans un cadre lui aussi défiant les normes et les limites connues dans son genre : son monde ouvert, déjà évoqué précédemment pour la quantité irréelle de tentations qu'il suscite, s'étale face au joueur stupéfait devant une telle superficie disponible, un peu comme nous l'avions ressenti en surmontant le Plateau du Prélude dans l'introduction de Breath of the Wild. L'immense succès de Nintendo, dont la révolution de l'open world n'est plus à présenter, tient tout simplement ici son premier véritable "challenger" si l'on ose dire, non pas pour une simple question de proportions, mais pour sa capacité à nous perdre dans ses méandres et nous inviter à sortir d'objectifs principaux basiques et trop pré-mâchés pour partir, tout simplement, à l'aventure. Combien de fois me suis-je surpris à explorer de nouvelles routes et m'arrêter sur le côté pour aller examiner ce qu'il me semblait être un point d'intérêt singulier, explorer une maison a priori déserte mais remplie de secrets dans sa cave cachée, ou encore aller à la renconter d'un hurluberlu me hélant avec trop de hargne pour résister à ses provocations, pour dans un premier temps calmer le jeu via les options de dialogue suggérées, avant de le défier en pointant son front avec mon pistolet à double canon pour lui faire ravaler ses dernières paroles ? L'exploration du monde ouvert de Red Dead Redemption II, sauvage et formidablement varié (des glaciers enneigés aux épaisses forêts dans laquelle la lumière peine à percer, en passant par un angoissant bayou et de vertes prairies et collines offrant des panoramas démesurés depuis les nombreux sommets rocailleux proposés), également saisissant de crédibilité dans son aspect urbain, semble sans fin, et on a déjà hâte de voir de quelle façon l'aussi attendu que redouté Red Dead Online l'utilisera.

 

 

 

 

En plus du rythme contemplatif maîtrisé comme jamais par ses concepteurs, "Red Dead 2" se pare en outre d'une finesse technique quasi irréelle pour une réalisation de cette envergure. La superficie démesurée de la zone de jeu, souvent, peut pousser une équipe de développement à des concessions techniques ou visuelles un peu brutales (on pensera notamment à cette brume quasi permanente dans Horizon Zero Dawn). Ici, la solidité de finition d’ensemble, stupéfiante, éblouit autant que ce soleil couchant tellement apprécié dans l'imagerie populaire du Far West. Entre des jeux de lumière d'une beauté au-delà de tout ce que l'on a vu jusqu'ici, des conditions météorologiques dantesques immersives à en flipper (côté averses, tempêtes et orages), des brumes enfin crédibles, transpirant l'humidité ambiante et ne donnant pas cette impression de cache-misère devenant intolérable à force, la patte graphique de Red Dead Redemption II est saisissante. Plus étonnant encore, en-dehors de très, très rares chutes de framerate constatées lors de courtes sessions sur une PlayStation 4 classique, la version "Pro" fait merveille lorsque l'on se contente de l'affichage 1080p classique. Et dire que je n'ai pu le tester sur un écran 4K, ni sur une version Xbox One X apparemment encore plus belle… quoi qu'il en soit, les 30fps constants sont tenus avec une aisance dont l'insolence n'a d'égale que celle de ses développeurs qui veulent nous en mettre plein les yeux, du premier fragment de roche venu au moindre tronc recouvert de mousse ou de lierre, au point que quasiment aucun détail ne semble laissé au hasard… exception faite de textures très discutables sur les aliments, les couverts et même la modélisation des PNJ les plus insignifiants, pas irréprochable du tout quand on les approche de près. Néanmoins, face à une telle prouesse technologique d'ensemble, on ne se plaindra pas trop, et tout juste regrettera-t-on quelques transitions météo parfois violentes, irréalistes et franchement ratées… qui n'ont rien à envier au vilain Mafia III. Face à cet étalage de beauté, c'est plutôt du côté de l'absence du sacro-saint mode photo que l'on ira pester : à vouloir ne rien faire comme tout le monde et négliger les lignes les plus évidentes d'un cahier des charges contemporain, Rockstar Games nous prive d'une feature pourtant évidente et taillée sur mesure pour un jeu de cette stature. C'est dommage, et ce n'est pas l'usage d'un vieil appareil photo d'époque, permettant notamment des autoportraits mais au maniement et aux angles ultra limités (sans parler du "stockage" de 96 photos, limité qui plus est au Rockstar Social Club), qui corrigera le tir. Certes, il est possible de se priver de toute forme d'ATH en désactivant manuellement (et in-game !) l'affichage de la bonne vieille mini-carte, et de profiter de la très bonne tenue de la caméra, pour se faire une collection de captures d'écran sensationnelles… et encore, quand les jauges d'attribut veulent bien éviter de popper à l'écran sans raison ; mais si "R*" avait pu céder à une mode pour une fois, on les en aurait même remerciés.

 

 

 

 

Et pour quelques mois de plus… ?

 

 

D'une manière générale, "RDR2" est au moins autant criblé de petits défauts que le corps d'un hors-la-loi recherché mort ou vif et gisant au bord du gué après le passage d'une horde de chasseurs de primes. Très largement au-dessus de (presque ?) n'importe quel autre open world, il se traîne des défauts de conception à gauche à droite, inadmissibles car idiots et parfaitement inexplicables. J'ai déjà pointé du doigt un mapping grotesque des touches, qui s'il finit par se laisser adopter pour 95% des actions, reste désespérément stupide et dénué de toute logique pour certaines d'entre elles, foutant en l'air par moments le réalisme extrême d'un jeu pourtant terriblement soigné à ce niveau – ce qui rend ce type d'erreur encore plus incompréhensible. On le sait, "R*" s'est tristement illustré par une période dite de crunch sur la fin de sa production, pour peaufiner à fond son titre quitte à faire franchir plus que de raison les limites horaires en vigueur à ses employés, et ce n'est pas à ces malheureux que l'on jettera la pierre, d'autant que l'ensemble de leur œuvre est quasi irréprochable. Cependant, il semble inconcevable que ce type de tare soit demeuré aussi longtemps dans un jeu qui a dû être joué et surjoué plus que de raison en interne par des professionnels expérimentés et perfectionnistes, et absolument rien ne les justifie. De mon côté, je me verrai, au grand dam des haters en mal de sujets de moquerie, de passer l'éponge sur les vilains bugs "à la Rockstar" décriés par de nombreux joueurs, n'en ayant tout simplement rencontré aucun en plus d'une centaine d'heures de jeu ; par ailleurs, ayant en premier lieu joué à "Red Dead 2" dans le but d'en rédiger un guide détaillé, j'en ai pourtant très certainement davantage exploré de recoins que beaucoup de personnes s'en étant plaintes ! Je n'ai, finalement, fait face qu'à un seul freeze et une seule violente baisse de framerate, plusieurs heures après avoir terminé l'histoire, et au même endroit qui plus est. Quant à mon désormais célèbre cheval qui se brise la nuque, je persiste à croire qu'il s'agit ni plus ni moins d'une preuve de plus de la cohérence du moteur RAGE, très solide l'essentiel du temps.

 

 

Par contre, un point noir bien réel, qui m'a gâché une partie de l'expérience de "complétiste" et fan de longue date des titres de Rockstar Games, se situe au niveau de son suivi assez inégal et mal fichu de la progression et du contenu proposé. Si l'idée d'inclure une encyclopédie particulièrement riche (551 entrées en tout !) et de détailler cette dernière est très satisfaisant, et donne une bien jolie raison d'étudier chaque espèce animale, de découvrir des tonnes de lieux, de bandes ennemies… a contrario, celle de supprimer purement et simplement l'interface statistique traditionnelle des jeux du studio est une hérésie – et je reste poli ! Dans le premier Red Dead Redemption ainsi que dans tous les Grand Theft Auto, on sait combien de kilomètres on a parcouru aussi bien à pied qu'à la nage, ou via d'autres moyens de transport (ici, le cheval, la diligence ou le train), combien de kills on a pu réussir, de headshots on a exécuté, et d'heures voire minutes on a passé dans ces mondes ouverts démesurément vastes. Une disparition pour le moins regrettable tant il y a d'éléments dont il aurait été pertinent d'afficher un suivi, du très important (temps de jeu passé, donc !) au superflu mais toujours apprécié (nombre de chevaux différents montés, total de lieux mystérieux notifiés dans le carnet, etc.). Sans aucune explication, "RDR2" se trouve privé de toute liste du genre, alors qu'il aurait été une fois de plus logique et bienvenu de l'intégrer. Cela complexifie en outre l'accomplissement de la quête des 100%, qui certes se voit dédier un sous-menu spécifique (globalement, l'interface disponible depuis le menu pause est très complète, sinon), mais absolument pas clair vu que chacune des quêtes requises n'est pas sélectionnable pour en afficher le détail de progression. Un exemple concret ? Il est mentionné que l'on doit effectuer quatre braquages : magasin, diligence, train ou cambriolage, et le menu affiche le total jusqu'ici complété (disons, deux sur quatre, pour illustrer). À aucun moment, il n'indique quel(s) élément(s) ou activité(s) manque(nt) pour remplir l'objectif concerné. Il en va de même pour la liste des repaires de bande à nettoyer, des types d'élements à crafter dans un camp, et j'en passe et des meilleures. D'un simple point de vue checklists, il manque quelque chose qui peut décourager bon nombre de joueurs de s'adonner à une activité pourtant indispensable pour beaucoup dans ce type de jeu vidéo, un oubli purement inacceptable de la part d'équipes pourtant spécialisées en la matière et qui ont toujours brillé à ce niveau. Tout juste peut-on (naïvement ?) espérer qu'un patch supplémentaire vienne rajouter une interface de statistiques supplémentaire voire éclaircir l'affichage existant de la progression des objectifs annexes – après tout, bientôt trois semaines après sa sortie, Red Dead Redemption II n'a jamais accueilli d'autre mise à jour que l'inévitable patch day one.

 

 

 

 

Histoire de centraliser un peu tout ce qui ne va pas dans "RDR2", revenons un peu sur sa jouabilité. Il ne sera plus question ici d'étudier le choix assumé de la rigidité, qui comme vous l'aurez compris, ne m'a pas spécialement dérangé, mais plutôt de stigmatiser les conséquences d'une telle mollesse dans des phases d'action… et que dire de l'infiltration pour le moins décevante, un comble pour un type de séquence où la lenteur est supposée régner avec efficacité. Si les gunfights se montrent quand même plutôt vifs et musclés, c'est en grande partie parce que la quantité d'ennemis présente dans chacun d'entre eux est, un peu comme tout ce qui constitue ce titre, parfaitement excessive. Peut-être conscient de l'incompétence ahurissante de ses intelligences artificielles en combat, Rockstar a préféré les multiplier plutôt que de les corriger, ce qui a pour effet de donner l'illusion de séquences de tir dynamiques et même délicates… jusqu'à ce que l'on en identifie le pattern abominablement répétitif. Une fois que l'on maîtrise le système de couverture aussi têtu qu'un demi-sang hongrois, il devient ridiculeusement aisé de remporter un affrontement malgré le surnombre adverse grotesque grâce au trio magique "couverture / sang-froid / headshots". Fort heureusement, l'exploitation de cette seconde mécanique, déjà présente dans le premier volet et héritière toujours assumée du légendaire bullet time cher à Max Payne, est parfaitement réalisée et terriblement jouissive, sublimée par des kill cams là encore délicieusement mis en scène et permettant de respirer un coup après un déluge de balles auquel on aura échappé on ne sait trop comment. Peut-être aussi parce que la résistance d'Arthur est, elle aussi, assez peu crédible en fin de compte, d'autant plus que les ressources pour faire remonter les jauges et les noyaux de santé et de sang-froid sont omniprésentes, facilitant là encore un jeu bien trop "assisté" lors de ses sections linéaires, à défaut d'incarner un système clair et facile à intégrer pour tou(te)s. Si "R*" a souhaité innover du côté des niveaux de vie, de stamina et donc de sang-froid, et qu'on ne pourra pas lui en vouloir d'avoir poussé cette feature extrêmement loin, notamment en les gérant avec des aliments, des boissons et autres fortifiants en tous genres (toujours dans ce fameux souci de réalisme), l'ensemble manque de lisibilité, de simplicité, et parfois de cohérence.

 

 

À ce propos, concluons ce paragraphe sévère mais juste sur les potentielles erreurs de relecture auxquelles une création d'une telle importance ne peut hélas échapper. En proposant une préquelle à Red Dead Redemption, ses concepteurs se doivent de faire preuve d'une cohésion parfaite dans les liens unissant les deux jeux, et évidemment, il fallait bien qu'ils se plantent sur quelques détails. J'éviterai bien entendu de les spoiler mais certains m'ont assez violemment frappé – et de fait déçu – au point de me poser la question, donc, du niveau de relecture effectué par Rockstar sur son script riche, dense, mais pas exempt de tout reproches. En outre, quelques questions subsisteront une fois le jeu terminé, de matière notamment à alimenter les débats et les théories entre fans, au point de penser que certaines zones d'ombre sont délibérées de la part des scénaristes (sans aller jusqu'à parler de MacGuffin non plus, hein). En fin de compte, ce n'est pas trop du côté de l'écriture que "Red Dead 2" se trouve de vraies faiblesses, notamment parce qu'il est intéressant de s'interroger sur le bien-fondé de certaines actions des personnages et d'échanger à ce sujet entre joueurs, tout comme sur les différents angles d'approche d'un épilogue qui divisera sans doute, mais que j'ai pour ma part beaucoup apprécié bien qu'il ne m'ait que surpris que par à-coups. Comme je l'avais par ailleurs mentionné précédemment, le choix très délicat à maîtriser de la préquelle d'une histoire déjà célèbre aurait pu plomber l'effet de surprise de Red Dead Redemption II et briser l'immersion et l'empathie dans les grandes largeurs de son histoire ; fort heureusement, à quelques couacs près, il n'en est rien et Rockstar parvient à nous faire accrocher, si bien sûr on accepte la direction générale prise par le titre, qui elle aussi a toutes les chances de diviser. "RDR2" aurait-il gagné à bénéficier d'un temps de développement encore un peu plus long que les fameux huit ans annoncés par son éditeur ? À part bien sûr pour soulager ses équipes, ce qui n'aurait pas été du luxe, rien n'est moins sûr tant ce que la majorité perçoit comme des défauts semble correspondre à une vision du jeu moderne par Rockstar. Certes, la qualité d'une IA idiote et pas très douée, ainsi que celle d'une infiltration franchement médiocre, aurait pu être améliorée, mais pour ce qui est du fameux rythme de jeu, de la lourdeur générale, il est clair et net que c'est de cette façon que le studio voulait que l'on joue, et ressente le poids des années, de l'armement, et des problèmes existentiels d'Arthur Morgan. Une appréciation pas forcément donnée à tout le monde tant cette recherche permanente de réalisme passe par des concessions sur le fun et la spontanéité de jeu qui vont en irriter un paquet…

 

 

 

 

Another Breath in the Wild

 

 

Ce long intermède sur les soucis de réalisation de Red Dead Redemption II, qu'il me semble inconcevable de passer sous silence dans toute critique un minimum exhaustive de ce dernier, est cependant venu interrompre avec la violence sèche d'un coup de feu dans la nuit mon éloge de l'atmosphère conçue par les artistes de Rockstar Games, telle une diatribe enflammée mais que j'estime justifiée. Néanmoins, comment ne pas reparler de ce travail d'orfèvre qui pousse à la contemplation bien davantage que dans tous les mondes ouverts explorés jusqu'ici depuis que le jeu vidéo en trois dimensions nous permet d'en rêver ? Au-delà de la performance visuelle quasi irréelle dont on finit cependant par s'accomoder avec beaucoup d'aisance, tant elle colle à la vocation d'implacable crédibilité du titre, il ne serait pas envisageable de négliger l'aspect purement "audio" de cette production, toujours particulièrement soigné chez Rockstar, et qui plus est, un aspect sur lequel j'aime m'attarder un minimum en longueur (oui, à l'image de mes critiques, je sais). Sans réelle surprise, le rendu est à la hauteur des espérances puisque le sound design fait mouche constamment : mettant en relief la variété impressionnante de sa faune, du moindre couinement de petit animal apeuré aux cris d'une meute de loups inquiétante, les bruits des feuillages dans le vent, des cours d'eau de débits divers et variés, du feu qui crépite ou des explosions en tous genres, cet énième point fort est lui aussi le fruit d'un travail de titan absolument remarquable de la part d'équipes, surexploitées sans doute – on ne le répètera jamais assez –, au sommet de leur art de reconstitution. Que dire également du galop et du hennissement des chevaux, véritables vedettes d'un titre ne les ayant jamais aussi bien modélisés, animés et mis en valeur de toute l'histoire du média ? "RDR2" est un délice pour les oreilles, n'a laissé aucun détail au hasard, et le boulot impressionnant effectué sur toute sa partie sonore met on ne peut mieux en relief le souci du détail omniprésent qui le caractérise. Une véritable merveille pour nos tympans donc, que la qualité de la bande originale ne fera que transcender.

 

 

À l'image d'un jeu parfois difficile à appréhender de par ses orientations surprenantes et ses mécaniques délibérément rouillées, la bande son de Red Dead Redemption II, de nouveau dirigée par Woody Jackson, met elle aussi du temps à s'installer comme une compagne terriblement sûre et enivrante, malgré un premier contact loin d'être évident. Il ne serait par ailleurs pas étonnant qu'elle divise aussi les joueurs ; d'ailleurs, le parallèle avec Breath of the Wild s'impose une fois de plus dans cette ambiance musicale si timide et presque feutrée, parsemée de notes de piano parfois, de guitare sèche quasi tout le temps. L'accompagnement est léger, presque sans rythme, suit à la perfection la promenade sauvage à laquelle nous abandonnons, laissant tantôt place à un silence de cathédrale toujours judicieux pour jouir des bruits environnants. La musique composée pour ce second volet, se renouvelant discrètement mais à peu près autant que les innombrables rencontres aléatoires effectuées au gré de nos chevauchées à tout heure du jour et de la nuit, joue un rôle exquis dans l'attribution d'une note artistique quasi parfaite que l'on constate plus souvent chez des titres très linéaires et contemplatifs – ce qui, bien évidemment, traduit la volonté de Rockstar d'inscrire au moins une des dimensions de son œuvre dans ce contexte. La guitare sèche, très folk, parfois remplacée par un banjo, rappellera également les thèmes ambiants, lancinants, mélancoliques et parfois emplis d'espoir candide que maîtrisent à la perfection Gustavo Santaolalla (The Last of Us) ou Jonathan Morali (Life Is Strange) ; des références aimant par ailleurs à dépeindre des roadtrips nord-américains dans des décors dont le charme est, nous devons le reconnaître, désormais quelque peu désuet car supplanté par celui si particulier de la nature de "RDR2". Pour ne rien gâcher, cette "OST" s'offre ses moments de bravoure à travers bien sûr des reprises de compositions iconiques du premier épisode, forçant un petit peu sur la corde sensible du fan service mais avec une adresse désarmante, et d'autres envolées magistrales inattendues, illustrant toute la grandiloquence d'un titre quasi incapable de se fixer des limites. Avec plus d'une centaine de musiciens différents, des grands noms de la production notamment du côté des arrangements vocaux (au hasard, Daniel Lanois, ayant collaboré avec Neil Young ou Bob Dylan, histoire de poser les bases…), Red Dead Redemption II s'offre une bande originale grandiose, passant par beaucoup de registres, illustrant on ne peut mieux la diversité affolante de l'œuvre qu'elle accompagne avec un talent fou.

 

 

 

 

Vous l'aurez bien compris, l'Amérique de fin de siècle que Rockstar cherche à (dé)peindre dans ce second "RDR" est une franche réussite, au moins d'un point de vue audiovisuel, mais aussi dans la crédibilité de ses êtres vivants, animaux comme humains. Si l'intelligence artificielle de ceux-ci a été légitimement pointée du doigt lorsque cela touche aux combats, elle se veut bien plus aboutie (et jusqu'à l'excès) dans sa routine. Le comportement des PNJ de "Red Dead 2", dans leur vie de tous les jours, est pour le coup d'une crédibilité quasi sans faille et pousse le joueur à s'intéresser à la façon dont ils mènent leur existence et à s'impliquer dedans, renforçant bien entendu le fameux aspect roleplay déjà plusieurs fois évoqué. C'est notamment à ce niveau que votre jauge d'honneur grimpera ou descendra en fonction des actions que vous pourrez commettre : comme je l'expliquais plus haut dans cette review, c'est à vous que reviendra la lourde responsabilité (et le choix) d'aider votre prochain ou de le dévaliser comme le bandit sans foi ni loi que vous êtes supposé incarner sur le papier. Si Arthur Morgan est un personnage semblant davantage porté sur le secours porté à la veuve et à l'orphelin que sur la violence gratuite – et que les nombreuses récompenses, côté quêtes annexes, iront dans ce sens – rien ne vous empêche de semer la terreur derrière vous et de cumuler les centaines de dollars de primes, mais il faudra l'assumer. Les réactions de votre environnement suivront la logique de votre comportement, qu'il ne tiendra qu'à vous d'améliorer ou de maintenir dans le rouge. Il en ira par ailleurs de même dans votre relationnel avec vos nombreux compagnons au sein de la bande de Dutch, avec qui les activités annexes sont plutôt nombreuses et variées, et que dire de votre cheval envers qui il faudra vraiment soigner votre attitude. Vous devrez en effet le caresser, le brosser, le ménager mais aussi le nourrir, tout comme votre personnage (sous peine que ce dernier perde du poids, ce qui influera évidemment sur ses statistiques en terme de santé et d'énergie), le titre de Rockstar poussant vraiment sa notion de réalisme dans ses moindres retranchements. Il en résulte une cohésion générale stupéfiante, où la crédibilité déroutante n'empêche pas pourtant la patte artistique de s'exprimer et d'offrir un cachet monumental à l'ensemble ; néanmoins, clairement, cela ne plaira pas à tout le monde.

 

 

 

 

Hors-les-normes

 

 

Ce n'est plus la peine de le cacher et il faut même l'assumer : oui, Rockstar a non seulement pris un parti assez radical, celui d'un réalisme froid, lent et lourd, et de l'assumer à fond quitte à faire des concessions sur le supposé fun qui distingue usuellement ses productions de la masse (constat manifestement fait par des personnes n'ayant pas joué au premier "RDR", assez sérieux tout de même ; tout lien avec des joueurs réputés pour un certain sectarisme et privilégiant un support se jouant essentiellement au clavier/souris ne serait que fortuit). Il va cependant plus loin dans sa perception du jeu vidéo en clamant haut et fort une certaine négation de l'évolution récente du média, se fichant allègrement de comment un open world moderne est censé être conçu de nos jours pour obéir aux pré-supposées normes de qualité. Rebelle et contestataire jusqu'au bout, le sale gosse du jeu vidéo nous impose sa vision du monde ouvert sans faire de manières ; avec Rockstar, c'est un peu "marche ou crève", il faut bien l'admettre. La probabilité demeure élevée qu'une certaine quantité de joueurs, n'ayant soit jamais fait Red Dead Redemption ou ayant oublié son gameplay – huit ans après, peut-on leur en vouloir ? –, et passés depuis par les nouveaux standards apposés au genre, n'accroche pas du tout à ce titre mélangeant à sa façon la linéarité contemplative d'un The Last of Us et le jet dans le grand bain d'une nature sauvage de The Legend of Zelda: Breath of the Wild. Au vu des louanges, abusives diront certain(e)s, reçues par ces deux titres monumentaux ayant chacun marqué leur époque, il paraît pourtant inconcevable qu'un jeu vidéo semblant s'inspirer de chacun d'eux puisse ne pas faire l'unanimité. Cela n'a néanmoins rien d'étonnant vu que malgré tout, déjà, "TLoU" et "BotW" ont leurs détracteurs, et que ce n'est pas parce que l'on prend un peu à deux légendes contemporaines du jeu vidéo que l'on va forcément accoucher d'une merveille intemporelle. Mais surtout, ce qui pose problème à beaucoup, c'est cette sensation que Rockstar n'en fait qu'à sa tête, et s'il a clairement regardé un minimum ce qui se faisait ailleurs (CQFD), il reste droit dans ses bottes sur certains principes qu'il sera objectif de juger préhistoriques – et n'hésitera pas à vous mettre des coups d'éperon bien placés si vous tentez de les contourner.

 

 

Dans son souci de réalisme poussé à outrance, "R*" commet en outre quelques impairs regrettables, dont certains ont déjà été cités en amont, et on pourrait encore en trouver d'autres : par exemple, doit-il nous priver à ce point de fast travels limités aux arrêts de diligence et stations de gare, là où il n'y aurait rien eu d'incohérent à en proposer une fois un campement provisoire établi dans la nature ? Il n'aurait nullement été question ici de succomber à un quelconque effet de mode mais tout simplement de fluidifier une expérience immersive et délicieuse au possible, mais à trop vouloir nous faire jouer "à la Rockstar", il ne serait pas étonnant que le studio perdre des fans de longue date qui attendaient sans doute quelque chose de plus moderne dans la jouabilité de Red Dead Redemption II, et ne séduise absolument pas les nouveaux arrivants, peu familiers de ses jeux en-dehors peut-être de "GTA V" – après tout, depuis peu, nous sommes plus de 100 millions (!) à y avoir joué, ce qui représente davantage que les ventes cumulées des épisodes "III", "Vice City", "San Andreas" et même "IV" et ses extensions (!!!). Du côté d'un éditeur aux prétentions sans limites, auto-persuadé à chaque nouvelle sortie d'offrir un "GOTY" probable aux masses, négliger à ce point la façon dont son média a grandi peut franchement faire désordre. Pourtant, il y a comme quelque chose de terriblement audacieux, et bien davantage même que simplement irrévérencieux derrière la vision du jeu vidéo peut-être d'un autre âge de Rockstar : sur d'innombrables points, "RDR2" est un pari, un énorme coup de bluff même, similaire à celui d'une main lamentable au jeu de cartes favori des cow-boys, qui empoche le pot face à des adversaires pourtant bien mieux lotis au prix de sa patience et de son flegme, juste parce qu'elle a "osé". C'est ici que se se situe la philosophie de "Red Dead 2" : plutôt que de seulement proposer, il ose, et on sera tenté de croire qu'il n'y a que ses célèbres créateurs controversés qui pouvaient tenter un coup de poker qui puisse passer à ce point, là où n'importe quel éditeur/développeur contemporain friand d'open worlds (Ubisoft, Bethesda ou Electronic Arts, pour ne citer qu'eux), souvent décrié pour l'exploitation qu'il en fait, se serait mangé une volée de bois vert historique en retour. Les bad boys du jeu vidéo sont-ils intouchables et impardonnables pour autant ? Certainement pas, et les conditions de travail de leurs salariés aussi talentueux qu'héroïques devraient même inciter à une rigueur encore plus impitoyable au moment de rendre un verdict sur une œuvre qui, quoi qu'il arrive, a des chances de susciter la controverse comme à peu près toutes ses aïeules, de faire énormément parler… et de terriblement bien se vendre tout en recevant des éloges objectivement méritées, quoi qu'on fasse. Un talent que Rockstar est quasiment le seul à détenir dans ce milieu.

 

 

 

 

Me concernant – parce que c'est un peu ça qui vous intéresse aussi, surtout si vous êtes arrivé(e) aussi bas dans cette interminable critique, je vous en remercie ! – il est assez clair que Red Dead Redemption II m'a marqué, et que je suis convaincu qu'il fera date à sa façon dans sa génération ; quant à laisser une empreinte dans l'histoire du jeu vidéo de la même façon que le firent ceux que j'aime à considérer comme ses inspirations majeures, il est encore un peu tôt pour le dire. Reste que quelque chose me bluffe réellement dans ce titre : le sentiment de liberté quasi infini, bien que balisé par des lois physiques et biologiques implacables, que l'on peut ressentir en échappant à une trame principale de très haute volée en dépit de ses longueurs volontaires. Plus impressionnant encore, et je vais essayer ici de maintenir un maximum d'effet de surprise aux joueurs ne l'ayant pas encore fini (voire commencé !), le contenu post-fin de "RDR2" est sidérant de démesure et offre une liberté peut-être encore plus forte qu'avant d'atteindre son surprenant épilogue, à la fois prévisible sous certains aspects, mais résolument inattendu sous d'autres. Offrant leur propre rédemption à celles et ceux qui avaient osé ne pas jouer à Red Dead Redemption (car si vous possédiez une PlayStation 3 ou surtout une Xbox 360, vous n'aviez pas d'autre excuse d'être passé(e) à côté que celle du goût), il prolonge ici avec un génie pour le coup improbable l'expérience du premier opus, donnera envie de (re)découvrir ce dernier – de préférence sur une Xbox One X avec la version "360", qui l'améliore énormément – et surtout, il plonge le joueur méritant dans une expérience ultime de monde ouvert en solo. Sublime à en tomber, sans faiblesses techniques, beaucoup plus agréable à jouer car plus du tout scripté, et rempli de surprises dont on ne verra jamais vraiment le bout, Red Dead Redemption II est un jeu vidéo qui se bonifie clairement avec les heures et ne se laisse apprécier à fond que par quiconque voudra lui laisser sa chance jusqu'au bout et de comprendre où il voulait en venir. Un constat qui peut sembler facile et dérouter les gamers recherchant, eux, un plaisir de jeu instantané et accessible ; j'ai parfaitement conscience qu'ils ne le trouveront pas dans "Red Dead 2", qui n'est tout simplement pas un titre fait pour tout le monde, bien au-delà de sa simple signalétique "pour adultes" largement méritée du fait de sa violence verbale et (surtout) visuelle toujours aussi élevée chez cette bande de Robert Rodriguez numériques. Oui, il faut aimer les œuvres en mode diesel, qui mettent bien dix à quinze heures à se mettre en place et offrir leurs premiers grands moments, mais une fois le train lancé, personne ne l'arrêtera en-dehors peut-être d'une charge de dynamite placée sur un viaduc vertigineux.

 

 

Reste qu'après avoir pris le risque de me farcir un titre aussi vaste, interminable et complexe dans le cadre d'une soluce complète (que, je l'espère, vous consulterez !), de l'explorer dans ses moindres recoins jusqu'à l'overdose, j'en ressors avec une incroyable satisfaction aux allures de soulagement : celle que l'un des trois jeux vidéo que j'attendais le plus de sa génération ne m'a finalement pas déçu, m'a envoûté et m'a tout simplement donné envie de prolonger son expérience aussi immersive que sans fin. Alors oui, il est assez particulier de considérer qu'un jeu vidéo devient encore meilleur une fois terminé, et il aurait été sans doute mieux de le rendre passionnant plus rapidement, bien que cela dépende pas mal de votre façon de l'aborder. Toujours est-il que face au tour de force technique et artistique constaté, qui ne cesse d'émerveiller mes pupilles et mes tympans bien plus de cent heures après m'être lancé dedans, à l'immensité de ses possibilités et l'épopée passionnante qu'il m'a contée, Red Dead Redemption II ne m'a presque jamais ennuyé, décollant scénaristiquement à partir de son second tiers pour ne plus jamais redescendre avant son épilogue, et a trouvé le moyen de me conquérir de plus en plus au fil de ce qu'il dévoilait. Maintenant que j'ai terminé son histoire, franchi les 90% de complétion totale (sachant que le reste sera extrêmement chronophage, et potentiellement un peu lourd j'en conviens), bouclé un guide détaillé bien plus agréable à rédiger que celui, au hasard, d'un Shadow of the Tomb Raider à la linéarité bien moins tolérable, et pas juste "parce que ce n'est pas un jeu Rockstar" … je peux enfin affirmer, avec autant de subjectivité que d'impartialité, que "Red Dead 2" est à la hauteur de ce que j'en attendais, mais mieux encore, a dépassé pas mal de mes espérances. J'ignore à ce jour si son impact sur l'industrie sera comparable à celui d'un Breath of the Wild ; cela, l'avenir nous le dira, certainement en passant par son mode multijoueur tant attendu, mais je n'en serais honnêtement point surpris tant il se surpasse dans l'art, nouveau pour ses concepteurs, du contemplatif au rythmé posé, et excelle dans toutes les forces habituelles de ses équipes – son génie du monde ouvert vivant, crédible, renouvelable et quasi sans limites en tête. Il me reste tant à faire et à voir dans Red Dead Redemption II que je vous en parlerais bien encore pendant de longues lignes, quitte à rester évasif pour ne rien spoiler, mais je ne vous infligerai pas un paragraphe de plus et achèverai ici une critique que j'espère avoir livrée à la hauteur du titre auquel elle voulait rendre hommage.

 

 

 

 

Il fallait peut-être finalement s'y attendre : Rockstar n'a pas changé, se croit toujours tout permis, se rit des conventions établies, fait toujours travailler ses talentueux employés plus que de raison, et vient encore une fois asséner un coup de matraque à la fois médiatique et ludique sur une sphère vidéoludique qui attendait de voir si les supposés maîtres de l'open world allaient clore une nouvelle fois le débat, avec la violence incroyable qui a fait leur sulfureuse réputation. Pourtant, en proposant pas mal de mécaniques d'apparence rouillées comme les essieux d'une carriole abandonnée sur la longue route reliant Armadillo à Blackwater, et un scénario aussi passionnant et bien écrit que dirigiste et assisté au possible, le statut de roi du monde ouvert de ce studio pas comme les autres avait de quoi se voir remis en question comme jamais. Lui pardonne-t-on anormalement davantage juste parce qu’il est Rockstar et que ses errances, un peu comme du côté de Nintendo par ailleurs, suscitent davantage d’indulgence que la moyenne face à une création d’exception ? C’est possible et surtout, c’est toujours difficile à admettre. Sa linéarité abusive et presque caricaturale serait-elle une satire des jeux vidéo modernes par les frères Houser et leurs équipes, histoire de différer de leur critique habituelle de l’Amérique et de sa société ? On n'en serait même pas étonné. En mélangeant avec un équilibre pourtant improbable la rigidité toute en contemplation d'un The Last of Us, avec tout ce que cela implique de liens entre narration forte et gameplay presque convenu, et l'ode à la liberté sauvage presque sans frontières de The Legend of Zelda: Breath of the Wild, et en apposant à l'ensemble sa légendaire patte personnelle en terme d'écriture et de character design jusque dans ses personnages les plus insignifiants sur le papier, c'est à une œuvre savamment dosée, très forte émotionnellement et artistiquement époustouflante, que Rockstar a donné vie. Comme le fut la révolution entreprise par Nintendo un an et demi plus tôt, Red Dead Redemption II est un monument, clairement pas exempt de tout reproches, qui se fiche pas mal de ce que la concurrence peut faire, et notamment sur quelques points où cela n'aurait pas été de refus ; mais surtout, il trouve le moyen de faire date à sa façon, à travers un coup de poker royal mettant fin à un bluff interminable rétribuant une patience sans limite que tout le monde n'aura pas forcément. Tel le plus racé des pur-sang arabes, la suite de celui que l'on considère unanimement comme meilleur jeu vidéo de 2010 sur consoles ne se laisse pas approcher facilement, l'apprivoiser prendra même une éternité, et il est très probable que seuls les joueurs qui en auront le courage parviendront à le dresser. La liberté leur sera alors offerte de vivre une chevauchée des plus épiques qui a des chances de les marquer pour très longtemps.



J'ai adoré / aimé :

 

+ Rockstar reste fidèle à lui-même, imperturbable, et globalement ça paie

+ Immense comme jamais, et sans rien écorner d'une beauté rare

+ La profondeur, la vie, la variété et le renouvellement de l'environnement

+ Cohérence d'ensemble saisissante, aussi bien urbaine que rurale

+ Les effets de lumière, de pénombre, de brume, de pluie et d'orage

+ Quasi jamais pris à défaut techniquement, même sur PS4 de base

+ Bande originale ET sound design qui prennent aux tripes

+ Doublages de haute volée, mention à une voix féminine d'exception

+ Écriture profonde et hors normes, comme d’habitude avec Rockstar

+ La bande de Dutch et ses personnalités, quasiment sans points faibles

+ Une ribambelle de PNJ plus marginaux mais tout aussi marquants

+ Arthur Morgan, passé de bras droit négligeable à personnage fascinant

+ Du fan service en veux-tu en voilà (mais sans excès)

+ Le souci de réalisme qui fait mouche presque en permanence

+ Les chevaux, leurs animations, leur comportement, impressionnants

+ L'aspect contemplatif et le rythme lent qui va avec (eh oui)

+ Les trajets "cinématiques", une très bonne idée dans l'ensemble

+ Bien plus "roleplay" que des jeux s'y croyant un peu trop sans l'être

+ Une montée en puissance aussi lente que savoureuse

+ Peut-être encore meilleur une fois le générique de fin passé (!)

+ L'excuse parfaite pour refaire Red Dead Redemption premier du nom

 


J'ai détesté / pas aimé :

 

– Missions principales quand même beaucoup trop simples et/ou dirigistes

– Infiltration et IA ennemie très moyennes et maladroitement compensées

– Le coup de la préquelle brise certains effets de suspense si on a joué à "RDR"

– Il faut pas mal de temps avant de l'apprécier, ce qui en gonflera pas mal

– Quelques transitions météo ou jour/nuit très bizarres voire ratées

– Dommage de ne pas avoir de mode photo sur un jeu aussi beau

– Où sont passées les statistiques de jeu si utiles et chères à Rockstar ?

Checklists vraiment, mais vraiment pas claires du tout

– Le mapping des touches, discutable quand il n'est pas carrément idiot

– La vue FPS, pas géniale, n'apporte rien (sauf à la rigueur dans les intérieurs)

– Quand même énormément de temps passé à cavaler et peu de fast travels

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