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Beyond: Two Souls – Au-delà de l'âme du jeu vidéo ?

Des pavés dans la mer

4 février 2014

Comme beaucoup d'entre vous le savent, l'équipe de développement française Quantic Dream s'est illustrée sur cette génération avec le très controversé Heavy Rain dont le web a longuement débattu (et continue sans doute de le faire). Vous savez, ce jeu (ou pas) qui fut tantôt considéré comme un thriller interactif digne des canons du genre au ciné, ou comme une négation du jeu vidéo sous forme de polar numérique enquiquinant et mal structuré. Eh bien, Quantic Dream a récidivé, nous offrant avec Beyond: Two Souls une nouvelle œuvre vidéoludique expérimentale ayant pour ambition évidente de s'inscrire dans un processus de révolution du genre. Ici, l'équipe emmenée par l'aussi inspiré que mégalo David Cage cherche clairement à livrer une copie encore plus proche du cinéma interactif, enrôlant des monstres hollywoodiens comme Hans Zimmer à la composition musicale (collaborant avec Lorne Balfe, qui avait travaillé avec Ubisoft sur Assassin's Creed Revelations), et le duo d'acteurs très médiatique que composent Willem Dafoe et surtout l'aussi ravissante que "bankable" Ellen Page. Autant le dire tout de suite : si la précédente production de Quantic Dream ne savait pas trop où se situer entre le septième et le huitième art, celui que l'on synthétise sous la forme de Beyond se rapproche clairement davantage du cinéma interactif – avec un degré d'implication, d'émotion et de réalisation peut-être jamais atteints dans une production vidéoludique. Voici le récit d'une expérience très, très complexe à conter.

 

 

 

 

Me concernant, je n'avais accueilli ce titre qu'avec un enthousiasme très modéré : si j'avais succombé très facilement à un Heavy Rain dont l'atmosphère, le "score" et les thèmes globaux ne pouvaient que me toucher très directement, j'allais naturellement appréhender "Beyond" bien différemment. Je ne me suis donc pas du tout empressé de le procurer, bien que sachant que je ne me ferais mon propre avis qu'en y jouant par moi-même, le ressenti de ce type de titre dépendant souvent du joueur, et pas d'une réelle qualité objective. D'ailleurs, de nombreuses critiques allaient dans ce sens. Autant l'annoncer d'emblée : je ne sais pas du tout si je serai capable de vous vendre ce jeu ou de vous le déconseiller, car il me semble être de ces expériences qu'il faut vivre pour vraiment savoir si on les appréciera ou non.

 

 

Il convient quand même de résumer vite fait le synopsis de Beyond: Two Souls. On icarne Jodie Holmes (incarnée par Ellen Page, donc), une jeune fille/femme dotée d'un don tout à fait paranormal, car accompagnée en permanence et depuis sa naissance d'une entité fantômatique répondant au nom d'Aiden. Celle-ci ne se manifeste que par des interventions sur des objets ou des êtres vivants, parfois sur la demande de Jodie, parfois totalement hors du contrôle de cette dernière. Ce don constitue évidemment à la fois une aide précieuse et une malédiction autour de l'héroïne, qui se retrouve dès son enfance prise en charge dans un département d'analyses scientifiques sur les phénomènes paranormaux. Le tout sous la bienveillance de Nathan Dawkins (Willem Dafoe), fasciné par le don incroyable de Jodie et qui tient à étudier ce que celui-ci peut apporter à l'humanité et à la science, tout en devenant presque comme son nouveau père, ou tuteur à la rigueur.

 

 

La spécificité de "Beyond" réside dans le fait que l'on peut diriger Jodie ET Aiden, bien que le gameplay se montre radicalement différent en fonction de laquelle des deux âmes (d'où le titre !) est jouée. Même si elles n'interagissent jamais simultanément, cela autorise donc une expérience en duo, que j'ai choisi de vivre avec un ami dans le cadre d'un run unique que nous imaginions certes long, mais pas aussi éprouvant et intense. Le choix d'avoir partagé d'une seule traite cette expérience incroyable à deux s'est avéré totalement payant, bien que le titre de Quantic Dream ait fourni son lot de surprises, parfois absolument exceptionnelles et épiques, parfois énervantes voire décevantes.

 

 

 

 

Contrairement à Heavy Rain qui, sur le modèle difficilement dissimulable de SE7EN, s'inscrivait dans le cadre temporel d'une semaine entière entrecoupée de très brefs flashbacks, son "héritier" se distingue par le déroulement totalement anti-chronologique d'événements très variés s'étendant sur près d'un quart de siècle — ceux de l'existence de Jodie, née en 1989 si l'on en croit certains détails de l'intrigue. De ce fait, le chapitrage se montre perturbant et confirme qu'il s'agit vraiment d'un titre à se faire "rapidement" pour ne pas en perdre le fil, bien que les embranchements scénaristiques soient bien moins complexes que dans Heavy Rain. Concrètement, ici les choix auront beaucoup moins d'importance sur le déroulement global d'une histoire plus ou moins déjà écrite, si ce n'est de déclencher des cinématiques différentes bien entendu.

 

 

Puisque je les évoque, parlons de ces fameuses cinématiques. "Beyond" constitue une claque visuelle à ce niveau, au point que rarement la différence entre image de synthèse et film réel se soit aussi peu ressentie. Malheureusement, et c'est assez inexplicable, le jeu souffre d'une inégalité graphique assez injustifiée dans le sens où le moteur du jeu ne donne pas sa pleine puissance en permanence. Parfois, les scènes de jeu où l'on se déplace sont bluffantes de réalisme et quasiment identiques aux cinématiques, alors qu'à d'autres moments, le décalage est vraiment très marqué. Néanmoins, quoi qu'on en dise, ça reste superbe et l'aspect fantastique du scénario est très bien mis en valeur à ce niveau.

 

 

Côté jouabilité, on retrouve concrètement les mêmes bases que celles de l'enquête interactive sur le tueur à l'origami (qui constitue d'ailleurs un easter egg bien placé dans le jeu) : des déplacements un peu rigides, du QTE à outrance, et l'inexistence totale de l'échec. La véritable innovation consiste en ce "switch" entre Jodie et Aiden, ce dernier se déplaçant tel le spectre qu'il est, à travers les murs et plafonds, et pouvant concentrer sa force sur des éléments du décor (interrupteurs, portes verrouillées, etc.) favorisant la progression. Ce n'est jamais très compliqué d'un point de vue "tactique", vu que David Cage et son équipe ne veulent clairement pas que le joueur en bave de ce point de vue, mais c'est bien foutu. Et carrément très bien pensé, même si flippant, lorsqu'Aiden prend le contrôle d'un être humain dont le comportement permettra à Jodie de progresser et/ou d'éliminer ses potentiels adversaires.

 

 

 

 

En effet, là où "Beyond" surprend pas mal, c'est que ce titre voulu grand public dans son gameplay s'avère en réalité assez éprouvant psychologiquement et visuellement, là où son aîné avait déjà posé des bases justifiant bien plus son PEGI 18 que tout un tas d'autres jeux bien moins crédibles et immersifs. Autant le dire tout de suite, je ne comprends absolument pas la classification PEGI 16 de "Beyond", qui sait se montrer réellement angoissant dès que les éléments paranormaux entrent en jeu. Et du côté des images choc, on est servi. David Cage rêvait que le joueur ressente des émotions fortes et non une expérience hardcore gaming : il ne s'est pas raté. Mais n'a-t-il pas pour autant trahi certains de ses idéaux?

 

 

En effet, dans la lignée d'un Heavy Rain dont le scénario avait suscité pas mal de controverses quant à sa cohérence, "Beyond" a malheureusement tendance à partir dans le grand n'importe quoi, et surtout en intégrant des scènes qui, aussi bien d'un point de vue jouabilité que visuellement, se trouvent étrangement proches de ce que le boss de Quantic Dream aime à critiquer chez les productions concurrentes, notamment côté violence gratuite et grand spectacle "militarisé". Si le jeu parvient donc à surprendre son utilisateur (je n'ose dire "spectateur"), il pourrait vraiment perdre ce dernier au vu d'un enchaînement de scènes et de séquences dont la justification reste sujette à débat. Et surtout, la dernière heure du jeu se montre carrément pesante et surréaliste, déjà que le reste de l'histoire ne savait pas toujours trop où se situer. Au final, "Beyond" est une œuvre de science-fiction, alors qu'on ne l'attendait absolument pas comme telle, et surtout, qu'elle mélange beaucoup trop de sous-genres, ne sachant pas toujours où donner de la tête.

 

 

Cependant, alors que la progression scénaristique a de quoi susciter moult débats, il convient de souligner la performance d'actrice d'anthologie d'Ellen Page, qui constituait il est vrai l'argument de vente majeur du jeu. Alors oui, on pourra troller autant qu'on le souhaite David Cage sur l'équation très personnelle "polygones = émotions" mais force est de constater que le travail réalisé par Quantic Dream dans son studio de full performance capture dépasse tout ce qui a été vu jusqu'ici. En fait, il n'y a que dans The Last of Us, à la rigueur, que des personnages se seront montrés aussi crédibles dans un jeu vidéo, mais peut-être pas dans les mêmes circonstances, et avec les mêmes exigences. Qu'on trouve cela à vomir ou à encenser, "Beyond" constitue une révolution réelle en soi dans l'histoire de la motion capture et Quantic Dream n'a clairement plus rien à prouver, en tout cas sur cette génération, sur sa maîtrise du visuel et de la mise en scène. Reste à convaincre sur les idées de gameplay qui diviseront toujours, tant "Beyond" s'éloigne encore plus du jeu vidéo que son grand frère, mais aussi et surtout sur le scénario. En effet, c'est bien de faire un jeu magnifique et émouvant, mais le rendre crédible lui permettrait vraiment d'accéder à un statut de classique ayant marqué son époque...

 

 

 

 

Au final, que retenir de l'expérience de Beyond: Two Souls ? On tient là une référence absolue en matière de film interactif, bien que le scénario, prometteur et intelligemment géré du point de vue chronologique, se montre trop décousu et à la croisée des genres. Extrêmement spectaculaire visuellement et très touchant voire dur émotionnellement, mû par la performance d'un ensemble d'acteurs formidable avec une Ellen Page en état de grâce, il n'en ressort pas moins qu'on ne sait toujours pas où se situer entre jeu vidéo et cinéma. Et pour la première fois, je ne peux pas vraiment donner de verdict à mon lectorat : si j'ai été réellement pris par l'expérience unique que constitue "Beyond", je me sens incapable de la recommander ou de la déconseiller, sauf éventuellement aux âmes sensibles. En fait, je ne peux que suggérer aux gens de se le procurer à petit prix (genre celui d'un blu-ray, au maximum) et de s'en faire leur propre opinion. Mais quoi qu'il en soit, ce sera un titre très, très marquant, que je tiens vraiment à résumer en employant le terme d'expérience davantage que de réel jeu vidéo. Et malgré tous ses défauts, cela restera une expérience vraiment unique et inoubliable me concernant.

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